Athalie Mitard, une femme de tête
Quand je vous ai raconté l'histoire de La Pierrière, je vous ai dit qu'Athalie Mitard, la mère de notre mémé Marie Louise Alix, était une femme de tête... Je vais vous expliquer pourquoi...
Vous vous souvenez qu'Athalie s'est mariée avec Jacques Alix, le 8 octobre 1884 à Saivres.
Après leur mariage, ils sont allés s'installer à la ferme de Bessé, sur la commune de Cherveux, qui était exploitée alors par le père de Jacques, André Alix.
André Alix et son épouse Jeanne Papot, n'étaient pas propriétaires de la ferme de Bessé, ils n'en étaient que les fermiers. La ferme appartenait à Messieurs Baron, Gibault et Chaigneau.
Et c'est donc là, à Bessé, que sont nés les deux enfants de Jacques Alix et Athalie Mitard, Emile le 8 décembre 1885 et Marie Louise notre mémé, le 25 mai 1893.
Il faut maintenant que je fasse un petit retour en arrière dans le temps...
André Alix, le père de Jacques, est né à La Guillotière sur la commune de François, où son père Jonas était cultivateur.
Jonas Alix (1790-1868) s'est marié deux fois.
Lors de son premier mariage avec Jeanne Desmier (1795-1828), il a eu cinq enfants, dont Jean Jonas Alix (1818-1903) dont nous allons reparler.
Après le décès de Jeanne Desmier en 1828 à l'âge de 33 ans, il s'est remarié en 1829 avec Marie Madeleine Picard (1805-1862), dont il a eu encore cinq enfants, dont notre aïeul André Alix (1829-1893) le premier enfant du second mariage, le père de Jacques.
La fratrie Alix, les enfants de Jonas, fermier de La Guillotière |
Les deux demi-frères, Jean Jonas et André avaient donc 11 ans d'écart.
Jean Jonas qui avait épousé en 1848 Marie Dupont, a toujours vécu, pendant qu'il était en activité, comme domestique chez M. le Comte de Grimouard, puis son gendre M. le Marquis de Talhouët, au château de Vaudeleigne, sur la commune de François, en limite de celles de Chauray et de Saint-Gelais.
Jean Jonas et Marie n'avaient eu qu'un fils, Jacques Jonas, né en 1849, mais qui malheureusement est décédé jeune, en 1870, il n'avait pas 22 ans, et n'avait pas de descendance.
Ils ont quitté le château de Vaudeleigne en 1870, pour aller s'installer dans une petite maison qu'ils avaient fait construire pendant leur activité, pour leurs vieux jours, au Breuil de François, à proximité du château.
La maison était petite. Une entrée centrale avec un corridor, et une pièce de chaque côté, une cave sous l'une des pièces, un grenier à l'étage couvrant les deux pièces, avec une cour à l'arrière, et dans la cour une vieille maison composée d'une pièce basse servant de fenil et un grenier à l'étage. Et sur le côté un jardin. C'était très modeste, mais pour eux deux bien suffisant.
Le problème pourtant, c'est que la possession d'une maison n'assure pas un revenu. Et comme ils étaient seuls et sans enfants pour leur assurer une subsistance, il fallait trouver une source de revenu, à cette époque on ne parlait pas de pension de retraite...
Alors en 1872 ils ont vendu leur maison a André, le jeune frère de Jean Jonas, notre aïeul, le fermier de la grosse ferme de Bessé, à Cherveux. Ils l'ont vendue en viager, ce qui signifie qu'André devient alors propriétaire de la maison du Breuil de François, mais il ne pourra en prendre la jouissance qu'au décès du dernier vivant des vendeurs qui s'en réservent l'usufruit leur vie durant.
Le prix était fixé à une rente annuelle de 200 Francs en argent et de 200 kg de froment. Le blé et la moitié de l'argent (100 Francs) sont payables chaque année à la Saint Michel et l'autre moitié de l'argent (100 Francs) à la Notre Dame de mars. La valeur de la rente totale, donc de la maison était estimée alors à 2 700 Francs.
En cette fin du XIXème siècle, un couple de vieux travailleurs à la campagne, avec 200 Francs par an, du blé pour faire son pain, et un jardin pour produire ses légumes, pouvait donc survivre sans difficulté.
En 1880, Marie Dupont, l'épouse de Jean Jonas, décède au Breuil de François. Elle a 61 ans.
Jean Jonas reste dans sa petite maison, et continue de percevoir la rente qui lui est servie par André.
Revenons maintenant à la ferme de Bessé à Cherveux, chez André Alix et Jeanne Papot, où vivaient désormais Athalie et Jacques Alix..
C'était alors une très grosse ferme, car en 1886, vivaient ici avec André Alix chef de ménage et Jeanne Papot sa femme, leurs fils et belle-fille Jacques Alix et Athalie Mitard, avec le petit Emile né en 1885, mais aussi un nombre important de six domestiques, deux femmes pour la tenue de la maison et quatre hommes ouvriers agricoles.
En 1891, cinq ans plus tard, la configuration était la même. Il n'y avait plus de femme employée de maison, mais il y avait toujours six domestiques, tous ouvriers agricoles.
Recensement d'avril 1891 à la ferme de Bessé |
Très rares étaient dans notre région les exploitations comptant autant de salariés. On peut dire que c'était une grosse entreprise.
On peut donc aisément imaginer que les terres cultivées étaient alors abondantes, et que les fermages à verser annuellement aux propriétaires, Messieurs Baron, Gibault et Chaigneau, étaient en proportion, et donc plus que conséquents...
La ferme de Bessé de nos jours |
En mai 1893, juste avant la naissance de notre Mémé Marie, André Alix, le chef de famille, le fermier de Bessé, décède à l'âge de 63 ans.
C'est Jacques Alix qui désormais, avec sa mère Jeanne Papot, doit gérer la ferme.
Recensement d'avril 1896 à la ferme de Bessé |
En 1896, le nombre de domestiques de la ferme a encore augmenté...Il y a
désormais sept domestiques, dont une servante, et dont Victor Garcis, lequel est
l'oncle de notre arrière-grand-père Alphonse Elie (le père de Papy Maurice), le
frère de sa mère Louise Garcis.
La ferme de Bessé vit-elle ainsi
au-dessus de ses moyens ?
Toujours est-il que quelques années
plus tard, on découvre que la ferme de Bessé, loin d'être une source de profits
pour ses fermiers,
était en fait une source d'endettement...
Les
fermages dus aux propriétaires sont loin d'être payés en temps et en heure, et,
sans doute au bout de plusieurs années sans paiement, la famille est priée de
quitter la ferme, le bail de neuf ans n'est pas renouvelé à son issue... Les
propriétaires concèdent un nouveau bail, mais cette fois à Charles Morin et sa
famille, lesquels auparavant demeuraient dans le bourg de Cherveux sur la route
de Lussay...
Ils doivent donc quitter Bessé, et vont trouver refuge chez l'oncle
Jean Jonas Alix, dans sa petite maison du Breuil de François. En arrivant à
cinq pour s'installer avec Jean Jonas dans sa petite maison, la famille devait
y être bien à l'étroit.
C'est là au Breuil de François qu'est décédé en 1899 leur jeune fils Emile, à peine 14 ans, le frère aîné de notre Mémé Marie Louise.
Mais
ils ont quitté Bessé, avec une dette très importante de 26 000 Francs à l'égard
des propriétaires de la ferme.
En cette fin de XIXème siècle, 26 000 Francs est une somme colossale ! Rappelons-nous que la maison de Jean Jonas Alix à François est estimée à 2 700 Francs. En 1905, l'ensemble des animaux et du matériel agricole de La Pierrière était estimé à 1 200 Francs...
26 000 Francs de 1893, convertis en pouvoir d'achat de 2024, se compteraient sans doute en plusieurs millions d'€uros...
Et pour couvrir ce passif de 26 000 Francs, Jacques Alix ne possède que la petite maison de son oncle Jean Jonas Alix, qui lui appartient désormais, mais dont il ne peut disposer puisque Jean Jonas est encore vivant et en conserve toujours l'usufruit. Et il faut toujours qu'il assure le paiement de la rente à son profit...
Les temps qui ont suivi ont dû être particulièrement difficiles, harcelés par les créanciers.
Bref, Jacques Alix et Athalie Mitard sont ruinés et endettés jusqu'au cou.
A la fin de l'année 1899, Léontine Mitard, la sœur d'Athalie, l'épouse d'Honoré Chaigne, décède à La Pierrière.
Si ce décès est un malheur pour la famille, c'est aussi une opportunité, qui permet à Athalie et sa famille de revenir s'installer à La Pierrière, pendant qu'Honoré Chaigne allait de son côté avec ses enfants s'installer comme fermier à la ferme de La Rouerie sur la commune de Saint-Georges-de-Noisné.
En 1901, la situation financière de la famille Alix devient de plus en plus précaire. Jacques Alix est obligé de contracter un nouvel emprunt de 3 500 Francs chez Me Autain, notaire à La Crèche, solidairement avec son épouse Athalie.
Emprunter pour rembourser des dettes antérieures, ce n'est jamais bon... Décidément, le passif ne fait que se creuser, et à cette époque pas de procédure de désendettement possible. Au contraire ce sont les poursuites qui arrivent.
Et puis cette situation était d'autant plus dangereuse que Jaques Alix et Athalie Mitard s'étaient mariés sans contrat de mariage, ce qui fait que les biens de Jacques, comme ceux d'Athalie, étaient concernés par ces créances, et c'était non seulement la maison de Jean Jonas Alix qui était dans la balance, mais aussi La Pierrière dont elle était l'héritière potentielle si son père Désiré venait à décéder...
Alors Athalie a pris les choses en main.
En 1903, elle a engagé un procès devant le Tribunal d'Instance de Niort. Non pas contre les créanciers, ça aurait été peine perdue... mais contre son mari Jacques Alix...
Elle a saisi des avoués, Me Besson-Léaud et Me Brandet de Niort, qui ont présenté une requête au Tribunal d'Instance en son nom, pour demander la séparation de ses biens de ceux de son mari, pour que ses propres avoirs ne disparaissent pas dans les dettes de son époux.
Et le 24 octobre 1903, le Tribunal d'Instance de Niort faisait droit à la demande et statuait ainsi :
"Attendu que le Sieur Alix
n'a pas réussi dans ses affaires, qu'il est sorti d'une ferme devant à son
propriétaire une somme de vingt six mille Francs ; qu'en outre il a été obligé
de contracter en décembre 1901 solidairement avec son épouse un emprunt de
trois mille cinq cent Francs ;
Attendu d'autre part que le
défendeur est l'objet de poursuites qui mettent en péril la dot et les reprises
de la Dame Alix et justifient sa demande de séparation de biens qui doit par
suite être accueillie ;
Attendu que toutes les formalités
prescrites par la loi ont été remplies.
Par ces motifs, le Tribunal :
Donne défaut contre Alix qui n'a
pas constitué avoué ;
Dit que la demanderesse sera et
demeurera séparée quant aux biens d'avec son mari, pour jouir à part et
divisement non seulement des biens qui lui appartiennent maintenant, mais
encore de ceux qui pourront lui appartenir dans la suite à quelque titre que ce
soit ;
Commet Me Dupuis, notaire à
Saint-Maixent, pour procéder à la liquidation des reprises de la Dame Alix,
sous la surveillance de M. Dupont, juge de ce Siège ;
Condamne Alix aux dépens de
l'instance avec distraction au profit de Me Brandet et Me Besson-Léaud,
avoués..."
A partir de ce jour, il fallait faire en sorte que Jacques Alix possède le moins possible, ne gagne rien, et que tout passe par Athalie, les créanciers ne pouvant plus accéder à ses propres avoirs.
C'était le sens du testament de Jean Jonas Alix qui a légué tous ses biens, meubles et immeubles, à Athalie.
C'est aussi pourquoi c'est Athalie qui a été désignée fermière de La Pierrière, et non pas Jacques Alix.
Et les créanciers pouvaient toujours venir, l'insolvabilité de Jacques Alix était totale...
Le Lieutenant Gibault, du village de Ternanteuil sur la commune d'Echiré, un des créanciers, a bien tenté une ultime requête en délivrant en décembre 1904 une saisie-arrêt sur les salaires perçus par Jacques Alix en qualité d'ouvrier agricole à La Pierrière, mais c'était bien sûr peine perdue, et ça ressemblait plutôt à un baroud d'honneur...
Par son action en justice en séparation de biens, Athalie a sans doute sauvé La Pierrière, qui aurait bien pu disparaître dans la liquidation des biens pour honorer les dettes.
Mais où alors seraient nés nos mère et grand-mère, nos oncles et tantes, nos cousins ?... Il ne serait pas concevable qu'ils aient pu naître ailleurs qu'à La Pierrière...
Merci grand-mère Athalie.
Sources : Archives départementales, archives familiales en ma possession
En voilà une aïeule qui avait de la suite dans les idées ! Bien joué Athalie :)
RépondreSupprimerComme quoi le surendettement des agriculteurs c'est un problème qui dure... ça veut se la péter avec le plus gros tracteur et la plus belle moissonneuse et voilà...!
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