A comme Adoubeur de corps humains
La plupart du temps dans nos campagnes, dans les villages un peu reculés du Poitou, il n'y avait point de médecin, de chirurgien, ni même d'apothicaire.
Et pourtant il y avait des malades et des blessés à soigner, et si possible, à guérir. C'est là qu'intervenait ce qu'on appelait alors "l'adoubeur de corps humains". Mélange de rebouteux, de kiné avant l'heure, d'herboriste, peut-être un peu magnétiseur, c'est à lui qu'on faisait appel en cas d'accident ou de maladie.
L'adoubeur de corps humains n'avait pas fait d'études à la faculté, mais il connaissait les bases de l'anatomie, avait été initié à la science des plantes, et rendait de grands services à la population locale, là où bien souvent, il était le seul soignant.
Nous avons dans notre arbre toute une lignée d'adoubeurs de corps humains.
Notre ancêtre Pierre de Saint-Martin (1555-1624), et son frère Mathurin, étaient tous les deux Maîtres Adoubeurs de corps humains dans les paroisses de Prailles et Mougon, dans le pays Mellois, entre le XVIe et le XVIIe siècle. Ils tenaient leur savoir de leur père Thomas de Saint-Martin (1520-1569), lui même déjà maître adoubeur.
Dans la paroisse de Prailles, tout le monde connaissait Pierre de Saint-Martin. Sur les registres, on l'appelait adoubeur de corps humains , un terme un peu solennel pour désigner celui que les habitants considéraient surtout comme un " remetteur " de membres , un homme qui savait soulager les dos coincés, les épaules déboîtées et les reins rompus par les travaux des champs, ou fabriquer une décoction de plantes pour lutter contre une maladie tenace, à une époque où on ignorait tout de ce que pouvait être un virus...
Sa maison, bâtie dans le village du Vignault, était simple : une pièce sombre, une table épaisse, un banc solide, quelques linges propres, et une série de baumes qu'il fabriquait lui-même à partir de plantes du coin.
Il n'était pas médecin, et ne prétendait pas l'être, mais il avait un savoir sûr, acquis au fil des ans, en observant, en palpant, en comprenant comment fonctionnait les articulations et les muscles.
Les paysans venaient le voir après une chute d'un chariot, une mauvaise torsion en levant un sac de grains, ou simplement quand l'âge et le travail avaient laissé les reins trop raides.
Pierre les installait, palpait calmement la zone douloureuse, faisait bouger le bras ou la jambe avec précaution. Puis, avec précision et assurance, il effectuait la manœuvre nécessaire : un geste ferme, parfois accompagné d'un craquement sec, qui faisait souvent soupirer le patient de relâchement.
On venait de loin pour ses soins. Même des soldats de passage passaient par chez lui, sur recommandation, pour qu'il leur remette un dos endolori par la marche ou une épaule usée par l'arquebuse.
Le curé lui-même, pourtant méfiant envers les pratiques non officielles, acceptait en silence que Pierre l'aide quand ses propres rhumatismes devenaient trop lourds à porter.
Saint-Martin avait une réputation tranquille : sérieux, discret, jamais prétentieux.
Quand on lui demandait comment il avait appris tout cela, il répondait simplement :
« Le corps parle à qui veut bien l'entendre. On finit par comprendre comment il se tient… et comment il se démet. Alors on le remet. »
Pierre de Saint-Martin a épousé vers 1585 Louise Boistaud. De leur union est née Marie de Saint-Martin, dans le milieu protestant de cette région melloise traditionnelle.
Pierre avait formé à son métier d'adoubeur le jeune André Papot, venu du village du Clouzeau, le fils de Pierre Papot et Jacquette Madier. Pierre ne s'est pas limité à lui apprendre le métier d'adoubeur, il en a fait son gendre en lui donnant la main de sa fille Marie, et c'est donc lui, André Papot, qui poursuivra la lignée d'adoubeurs.
André et Marie se sont mariés au terme d'un contrat de mariage passé le 5 mai 1608 chez Me Textier, auquel étaient présents l'ensemble des deux familles, les parents, les oncles et tantes, les frères et sœurs, les cousins, tous résidant dans ce pays mellois, principalement dans les villages du Clouzeau, du Vignault, de Pied-l'Ouaille et de Monteuil, dans la paroisse de Prailles. Un document précieux pour reconstituer la composition de cette famille à cette époque, alors qu'ils ne figurent sur aucun registre paroissial, car tous protestants.
André Papot a lui-même transmis ce métier d'adoubeur à son fils Abraham Papot (1614-1691), qui l'a lui même enseigné à son fils Pierre Papot, qui a pour sa part quitté la paroisse de Prailles pour aller exercer son art dans celle de Fressines.
Bref, une longue lignée d'adoubeurs, sur plus de cinq générations, qui montre l'importance de ces personnages dans ces temps plus anciens de nos campagnes.
Souvent, quand je veux expliquer ce qu'est un implex en généalogie, je le fais en prenant l'exemple de Pierre Papot et Jacquette Madier, les parents d'André, vers lesquels nous remontons par cinq branches différentes, ce n'est pas rien...
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