René CHAIGNEAU, un homme d'engagement


S'il est un homme, dans notre arbre généalogique, qui peut représenter les valeurs de courage, de fidélité à ses engagements, de résistance, et de résilience, c'est bien René Chaigneau.

René Chaigneau est né le 23 février 1912, au 55 Rue d'Allemagne, dans le 19ème arrondissement de Paris.

Il est le fils aîné de Ludovic Chaigneau, alors peintre en bâtiments, et de Juliette Mitsch.

Un peu plus d'un an plus tard, le 13 juin 1913, viendra au monde sa petite sœur, Viviane Blanche, cette fois au 77 Rue d'Allemagne.

A noter que l'année suivante, en 1914, après la déclaration de guerre, la Rue d'Allemagne, ou aussi Avenue d'Allemagne, sera débaptisée, et deviendra l'Avenue Jean Jaurès, ce qui sera beaucoup plus en adéquation avec les valeurs que défendra plus tard le petit René...

Si René est né parisien, sa famille paternelle était bel et bien saint-maixentaise.

En effet, son père Ludovic était né à Saint-Maixent le 14 avril 1888, au domicile de Louis Chaigneau et Rosalie Bernuzeau, au n° 15 de la rue Taupineau, où Louis Chaigneau exerçait la profession de cordonnier. On y trouve aujourd'hui une petite boutique à la devanture verte, désormais fermée, juste en face de l'ancienne Boucherie Centrale.

15 Rue Taupineau, le domicile de la famille Chaigneau

Ludovic était le quatrième enfant d'une fratrie de cinq.

Le premier, Adolphe Chaigneau, est né en 1879 à Saint-Georges-de-Noisné d'où étaient originaires ses parents Louis et Rosalie, et où ils habitaient encore juste après leur mariage, avant de venir à Saint-Maixent dans la rue Taupineau. Domestique au collège de Saint-Maixent, Adolphe habitait en 1906 dans le haut de la rue Grande (aujourd'hui rue Jean Jaurès), et il s'est marié assez tard pour l'époque, en 1913 (à 34 ans), avec Albertine Gaillard, qui elle avait 37 ans, était veuve et avait déjà un enfant. Ce qui fait qu'Adolphe n'a pas eu d'enfant. Pas de cousin Chaigneau de ce côté-ci. En 1936, Adolphe et Albertine habitaient au 33bis avenue de la Gare à Saint-Maixent. Ils décèdent tous les deux à Saint-Maixent, lui en 1962 et elle en 1968.

Le deuxième est Jules Chaigneau, né au 15 rue Taupineau, en 1882. Il épouse en 1909 Marie-Madeleine Dauvergne, laquelle malheureusement décède un an plus tard en 1910 à l'âge de 25 ans (sans doute une première grossesse qui a mal tourné...). Jules se remariera en 1912 avec Marie-Victorine Giraudeau, beaucoup plus âgée que lui de quinze ans. Elle était veuve d'Alfred Fayet, négociant en tissus de Pamproux, dont elle avait eu deux enfants, Madeleine en 1889 et Jules Maurice en 1893. Jules Chaigneau n'aura donc pas d'enfants, lui non plus. Jules possédait un magasin de vente et de réparation de cycles, situé au 25 Avenue de l'Ecole Militaire. Marie Victorine y décèdera en 1930 et lui en 1945.

La troisième est Blanche-Rosalie Chaigneau, née en 1884, mais qui hélas décèdera en 1891 à l'âge de 7 ans.

Le quatrième est donc Ludovic Chaigneau né en 1888, le père de René, dont nous allons reparler.

Enfin la cinquième sera Marcelle Chaigneau, née en 1893. Elle épousera en 1919 à Pamproux Jules Maurice Fayet, du même âge qu'elle, le fils du premier mariage de sa belle-sœur Marie-Victorine Giraudeau, la seconde épouse de son frère Jules Chaigneau. Les époux Fayet (Jules Maurice et Marcelle) étaient négociants en tissus et faisaient les marchés de la région. C'est eux qui embaucheront notre grand-tante Renée Girault dans les années trente et qui lui céderont leur affaire. Ils auront au moins une fille, Claudette Madeleine Fayet, née en 1922 à Pamproux (décédée en 1976 à Bordeaux). Après ils ont quitté la région, Jules Maurice Fayet est décédé en 1960 à Nice et Marcelle Chaigneau en 1985 à Langon.

Mais revenons à Ludovic, le père de René...

Lorsqu'il a fallu qu'il travaille pour gagner sa vie, il a fait un apprentissage de peintre en bâtiment.

A 18 ans, en 1906, il habitait toujours au 15 rue Taupineau avec ses parents, et il travaillait chez Pierre Simonnet et son fils Eugène, qui avaient un atelier de peinture au n° 7 de la rue du Faubourg Charrault.

7 Rue du Faubourg Charrault


A l'âge du service militaire, en 1908, il passe le conseil de révision à Saint-Maixent, et il est incorporé le 13 octobre 1909, à la 20ème section d'infirmiers militaires, basée à Oran, en Algérie. Il y restera jusqu'au 6 avril 1910, date à laquelle il obtient une réforme pour "bronchite spécifique"... Ne me demandez-pas en quoi elle était spécifique...

Déjà, avant de partir au service militaire, Ludovic avait quitté Saint-Maixent, il était alors domicilié à Paris, où il était sans doute monté pour tenter l'aventure...

Toujours est-il que Ludovic ne reviendra plus à Saint-Maixent.

En 1910, après sa réforme de l'armée, il se marie, le 4 juin avec Juliette Mitsch, à la mairie du 19ème arrondissement.

Juliette était née à Paris le 21 novembre 1886, elle était la fille de Nicolas Mitsch, originaire de Moselle, et de Stéphanie Leclerc, originaire de la Somme.

Et c'est ainsi qu'un peu moins de deux ans après leur mariage, le 23 février 1912, naissait René Chaigneau, puis un an plus tard en 1913, sa sœur Viviane Blanche.

Ludovic exerçait encore à cette période la profession de peintre, et Juliette était comptable.

Après la naissance de leurs enfants, Ludovic et Juliette ont quitté Paris, pour Amiens dans la Somme, où ils résidaient au 70 rue de Beauvais.

Quand la guerre éclate, au mois d'août 1914, dans un premier temps Ludovic est maintenu dans sa situation antérieure, et garde le bénéfice de la réforme obtenue en 1910.

Mais en 1917 au mois d'avril, la commission de réforme de la Somme décide de le classer au service armé, et il est affecté au 72ème régiment d'infanterie qu'il rejoint le 23 mai 1917, et 


avec lequel il participera aux terribles combats du Chemin des Dames. Mais cette situation de combattant ne va pas durer, puisque dès le 8 septembre 1917, il est de nouveau réformé pour induration bacillaire du poumon, associée à un mauvais état général. Il était donc porteur d'une forme de tuberculose. Et il rentre chez lui à Amiens.

Après la guerre, Ludovic et sa famille quittent Amiens, pour revenir à Paris. Ils ouvrent un commerce au 118 rue de Meaux dans le 19ème arrondissement, tout près de l'endroit où ils habitaient auparavant sur l'Avenue Jean Jaurès. 

118 Rue de Meaux, Paris 19ème

Si vous allez aujourd'hui au 118 rue de Meaux vous y trouverez une agence immobilière, un salon de coiffure et un petit commerce de vins et spiritueux.

Malheureusement c'est là, rue de Meaux, que Juliette décède le 8 juillet 1923, elle avait à peine 37 ans. René a 11 ans, il devient orphelin de mère.

Deux ans plus tard, le 15 septembre 1925, Ludovic se remarie à Issy-les-Moulineaux avec Salomé Keifflin. Elle était née en 1887 à Issy-les-Moulineaux, son père Louis Keifflin était alsacien d'origine, né à Munster, et sa mère Jeanny Charvet, savoyarde, née à Annecy. Salomé Keifflin était institutrice, et divorcée depuis peu (juin 1925) de Joseph Ancelin, dont elle avait un fils, Vincent Charles.

En 1930, la jeune sœur de René, Viviane Blanche, décède à son tour, au 1 rue Pierre Larousse dans le 14ème arrondissement de Paris. Elle allait avoir 17 ans. A cette date, leur père Ludovic est déclaré demeurer 25 Chemin de l'Ile Fanac à Joinville-le-Pont, une petite île au milieu du cours de la Marne, dans l'Est parisien, tout près du bois de Vincennes.

Est-ce en 1923 au décès de sa mère ? Est-ce en 1925 à l'occasion du remariage de son père ? Est-ce en 1930 après le décès de sa sœur ? En tout cas c'est à cette période, à la fin des années vingt, que René, adolescent, quitte Paris et vient s'installer à Saint-Maixent où il est accueilli par sa famille du Poitou.

La séparation d'avec son père a dû être pour René une bonne chose, car dans les années trente, Ludovic a plutôt mal tourné et il a commencé à collectionner sérieusement les démêlés avec la justice...

Le 29 mai 1935, la Cour d'Appel de Besançon le condamne à 3 ans de prison pour recel.

Le 11 septembre 1935 c'est le Tribunal Correctionnel de Paris qui le condamne à 8 mois de prison pour escroquerie et abus de confiance.

Un mois plus tard, le 21 octobre 1935, il est condamné par le Tribunal de la Seine à 6 mois de prison pour détournement de gages et 3 mois de prison pour émission de chèques sans provision.

Et le 5 décembre 1935 le Tribunal Correctionnel le condamne à 3 mois de prison pour complicité d'escroquerie.

Le 14 janvier 1936 la Cour d'Appel de Paris confirme les condamnations en les fixant à 13 mois de prison pour abus de confiance et 13 mois de prison pour complicité d'escroquerie.

Mais une autre affaire l'a conduit quatre jours plus tard, le 18 janvier 1936, devant le Tribunal Correctionnel où il est condamné à 3 mois de prison pour tromperie sur la marchandise et contrefaçon.

Cette condamnation est confirmée le 01 mai 1936 par la Cour d'Appel qui le condamne à 2 mois de prison pour contrefaçon.

Enfin, le 2 octobre 1936, le Tribunal Correctionnel le condamne à 1 an de prison pour recel, et le 7 octobre 1936, la Cour d'Appel de Besançon le condamne à nouveau à 3 ans de prison pour recel.

Ludovic sera incarcéré à la Maison Centrale de Poissy le 18 octobre 1937, d'où il ne sera libérable, grâce à diverses confusions de peines, que le 9 mars 1939...

Je ne sais pas ce que deviendra ensuite Ludovic Chaigneau. Je sais seulement qu'il est décédé le 27 avril 1965 à Clichy-la-Garenne. Il n'aura donc plus quitté la région parisienne.

Pendant ce temps, René Chaigneau organise sa vie Saint-Maixentaise, loin de son père.

Il faut d'abord trouver du travail.

Ce sera Louis Sapin, artisan menuisier, qui avait son atelier dans la rue Vauclair à Saint-Maixent, à deux pas du domicile familial de la rue Taupineau, qui va l'embaucher.

Louis Sapin, célibataire et sans enfants, était un très proche de la famille Chaigneau. Depuis plus de trente ans il résidait à la même adresse qu'eux, au 15 rue Taupineau. Il y était au recensement de 1906, il y est encore à celui de 1936. Déjà en 1909, il était témoin au premier mariage de Jules Chaigneau avec Marie Madeleine Dauvergne. Il était encore témoin en 1913 au mariage d'Adolphe Chaigneau avec Albertine Gaillard. Et encore en 1919 au mariage de Marcelle Chaigneau avec Jules Maurice Fayet... Bref, Louis Sapin était toujours là aux moments importants de la famille.

Louis Sapin était né à Pamproux en 1868. En 1930, il avait donc 62 ans. Il était temps pour lui de commencer à pouvoir envisager la cession de son activité. Il n'avait pas d'enfants, et l'arrivée de René pour prendre sa suite était une bénédiction.

René va donc commencer sa carrière de menuisier ébéniste avec Louis Sapin, et apprendra le métier à ses côtés.

Depuis son retour à Saint-Maixent, René était très proche de son oncle Jules, le vendeur et réparateur de cycles de l'avenue de l'Ecole Militaire. Ils étaient si proches qu'on appelait souvent René, P'tit Jules ou Julot.

Jules Chaigneau était un fervent défenseur des idées communistes, il était un adhérent connu du PCF.

Le jeune René va rejoindre aussitôt le mouvement, et s'impliquer à son tour dans la vie politique.


L'époque était très troublée en France sur le plan politique, où l'affrontement était parfois violent avec les ligues fascistes de l'Action Française, notamment en février 1934 à Paris, où le gouvernement de Daladier était tombé et où les ligues avaient failli prendre le pouvoir en France.

Cette situation troublée avait alors donné lieu à un rapprochement entre les communistes et les socialistes de la SFIO, à travers les Comités d'actions antifascistes, préfigurant ce que sera le Front Populaire en 1936.

Fin 1934, le ministre de l'intérieur avait sollicité ses Préfets pour que soit étudié et rapporté l'état des lieux des forces du front socialo-communiste dans les départements.


Le rapport établi par le préfet des Deux-Sèvres le 29 décembre 1934, donne une idée assez précise des organisations dans le département, où la Fédération départementale communiste était dirigée par Gabriel Citerne.

Notamment était décrite la cellule de Saint-Maixent, qui comptait alors une cinquantaine d'adhérents. Et sont cités à ce titre dans le rapport de police les principaux militants : Fernand Pringault (propriétaire rue Châlon), Emmanuel Louis (de L'Hort-Poitiers), Jules Chaigneau, Maurice Bernard (marchand de meubles rue Châlon) et son beau-fils Henri Picard ainsi que leurs épouses, un nommé Bonnet (commis des contributions), Edmond Proust (instituteur à Saivres, le futur Colonel Chaumette de la Résistance), les époux Lauroy (instituteurs à Saivres).

C'est avec ces hommes et ces femmes que René va faire son éducation politique, et qu'il va entrer dans la vie militante, qu'il ne quittera plus jamais, même aux heures les plus sombres.

En 1933 vient pour René Chaigneau le temps du service militaire.


Il sera incorporé le 15 avril 1933, au 9ème régiment de zouaves, et il embarque pour l'Algérie où le régiment est en garnison à Alger. C'est là sans doute, pendant son service militaire à Fort National, au cœur de la Kabylie, qu'il développera sa profonde révulsion pour le colonialisme et son fort sentiment internationaliste.

Nommé Caporal le 11 mars 1934, il revient en métropole le 30mars 1934, avant d'être démobilisé le 14 avril.

Une fois ses obligations militaires accomplies, c'est maintenant qu'il reprend les rênes de la menuiserie de la rue Vauclair, à la suite de Louis Sapin.

Le 24 avril 1935, René épouse à la mairie de Rouillé notre grand-tante, Renée Girault, la jeune sœur de notre grand-mère Madeleine. Et Louis Sapin va devoir une nouvelle fois assumer son rôle habituel de témoin au mariage...

René et Renée vont alors s'installer au n°13 de la rue Vauclair, à proximité de l'atelier de menuiserie, et un an plus tard, en plein Front Populaire, le 23 octobre 1936, vient au monde leur fille Viviane.

13 Rue Vauclair


Le Front Populaire, René va le vivre intensément. Les collages d'affiche, les réunions électorales, vont se succéder, à Saint-Maixent comme ailleurs, et René y prendra une part active.

La guerre d'Espagne, le sort des Républicains espagnols, seront aussi au cœur des combats des communistes à cette époque, et la famille Chaigneau accueillera même pour quelques temps Pepita, une jeune réfugiée espagnole fuyant les exactions franquistes.

Puis arrive 1939. La guerre est déclarée.

René est donc mobilisé et il est affecté au 77ème Régiment d'Infanterie, qu'il rejoint le 13 septembre 1939. Le régiment est envoyé sur la frontière belge avec pour mission d'arrêter l'armée allemande au sein de la 9ème armée alliée. Il y sera nommé Caporal-chef à effet du 01 janvier 1940.

Mais la fulgurance de l'attaque allemande, là où on ne l'attendait pas (à travers les Ardennes avec les blindés), met l'armée alliée en déroute, encerclée par la manœuvre allemande, qui fera un nombre très important de prisonniers français.

René parviendra à éviter la captivité, et rentrera à pied à Saint-Maixent... Où il sera démobilisé le 28 juin 1940. Il n'y a plus alors d'armée française, après la capitulation du 22 juin signée en forêt de Compiègne.

A cette époque, il devenait très difficile et risqué de s'afficher comme communiste dans le pays.

Déjà le 26 septembre 1939, bien avant l'armistice et la prise de pouvoir de Pétain et Laval, le gouvernement Daladier prenait un arrêté pour interdire le Parti Communiste. Et la répression s'est faite très forte contre les militants les plus en vue, pour atteindre son paroxysme au printemps 1940. L'interdiction s'accompagnait de la possibilité de l'internement des personnes, même seulement soupçonnées d'activités communistes (c'est dans ce cadre que les malheureux républicains espagnols réfugiés en France, se sont trouvés internés dans des camps, qui ressemblaient déjà à des camps de concentration, hormis la volonté d'extermination...). Les élus communistes étaient jugés, condamnés. L'épuration atteignait aussi les corps de fonctionnaires...

En mars 1940, le bilan du ministre de l'intérieur faisait état de 3 400 arrestations, 1 500 condamnations, 2 718 déchéances d'élus, et près de 400 internements, outre l'épuration de 700 fonctionnaires et 3 500 radiations d'affectations...

On peut interdire une organisation, mais on ne peut détruire des convictions !

Aussi René, dès le début de 1941, reprenait contact avec d'anciens camarades pour constituer les premiers mouvements de l'Organisation Spéciale (OS), les prémices de la résistance communiste.

Ils étaient organisés en triangles, pour éviter des arrestations trop nombreuses en cas de dénonciation. 

Jean Jamain

Ainsi René militait au sein de l'OS avec deux autres résistants communistes. René était le responsable politique du groupe, avec Jean Jamain le responsable technique qui habitait rue du Plat d'Etain, où un premier dépôt d'armes avait été constitué, et Charles 
Coutant dit Pierrot, employé du Crédit Lyonnais, qui résidait sur l'avenue Wilson.


Les groupes de l'OS avaient alors appelé à la constitution d'un large rassemblement de tous les Français "sauf les capitulards et les traîtres...". Ce sera le Front National (de Lutte pour l'Indépendance de la France, son nom complet...). Front National qui, vous l'aurez compris, n'avait rien à voir avec le parti que créera trente ans plus tard Jean-Marie Le Pen, s'attribuant ainsi un nom qui frise l'usurpation et indignera les anciens résistants communistes, quand on sait que les prédécesseurs de Le Pen quant à eux, étaient plutôt dans les milices du régime collaborationniste de Vichy.
Charles Coutant

Personnellement je me souviens encore d'avoir vu dans le garage de l'oncle René un fronton de stand aux armes du Front National (le vrai, celui créé par les communistes sous l'occupation !)

Les tirages de tracts et leur diffusion dans la population ne se faisaient pas sans risque...

En 1942, les groupes OS, dont celui de René, sont regroupés sous l'appellation des FTP, Francs Tireurs et Partisans, sous la direction nationale de Charles Tillon, et adhèrent à l'Armée Secrète, bras armé de l'Organisation Civile et Militaire qui participera au Conseil National de la Résistance aux côtés d'autres organisations non communistes.


Après l'action de Jean Moulin et la réunification de l'ensemble des organisations de résistance, René et ses camarades des FTP de la région, intègrent le Triangle 16, secteur IV, des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) à partir du 1er mars 1943, sous le commandement d'Edmond Proust, le Colonel Chaumette.

Libertaire Rutigliano

Tout en gardant des contacts avec le Front National de Libération, en la personne de Libertaire Rutigliano, responsable interdépartemental basé à Nantes puis à Parthenay, puis avec Emile Le Fol après l'arrestation de Rutigliano. Emile Le Fol sera à son tour arrêté début 1944 et fusillé à Poitiers.

Le 4 mai 1944, Charles Coutant est arrêté chez lui sur l'avenue Wilson, et conduit à la prison de La Pierre Levée à Poitiers où il sera torturé par les agents français de la Gestapo, puis fusillé à Biard le 5 juillet 1944.

Le lendemain 5 mai 1944, à 16h, en rentrant d'un chantier, René est lui même arrêté rue Vauclair, par les mêmes tortionnaires qui avaient torturé Charles Coutant, et il est à son tour transféré à La Pierre Levée, en même temps que Jean Jamain, le troisième du triangle OS...

Pendant 37 jours, René va partager sa cellule à La Pierre Levée, avec le Docteur Suire, chirurgien à l'hôpital de Niort.

Après quoi, accusé de reconstitution d'un parti interdit, il est transféré au Camp de triage de Compiègne, avant de prendre le 2 juillet 1944, le train de la mort à destination du camp de concentration de Dachau en Allemagne, à côté de Munich.



Le camp de Dachau avait été ouvert dès 1933 par Himmler, pour y enfermer d'abord les opposants politiques allemands, puis les résistants des autres pays envahis.

Entre 1933 et 1945, plus de 41 500 personnes perdront la vie à Dachau. Mais 1/3 de ces 41 500 prisonniers y décèderont dans les six derniers mois, entre octobre 1944 et avril 1945, c'est dire le sort qui était réservé aux prisonniers au moment où René s'y trouvait.

Le camp de concentration de Dachau

Malgré les souffrances, la faim, les mauvais traitements, il assurera les fonctions de responsable de la solidarité aux blocs 12, 13 et 23. Et là encore il sera membre de l'Organisation Secrète du camp.

Pendant son absence, son épouse Renée a continué à faire fonctionner la menuiserie pour que les ouvriers gardent leur emploi et le revenu qui l'accompagne.

C'est aussi à cette époque, quand René était absent, que notre père Roland, alors âgé de 10 ans, a quitté Rouillé pour venir s'installer avec sa tante Renée et sa cousine Viviane, dans la maison de la rue Vauclair. Il n'apprenait rien à l'école de Rouillé, et Renée a décidé de ne pas le laisser l'esprit en jachère... Il faut dire que Renée était une femme de caractère, et capable de relever bien des défis. Notre père Roland nous disait toujours en rigolant qu'il avait appris à lire à coups de parapluie...

La vie au camp était particulièrement difficile. A la fin de l'année 1944, René était très affaibli, et était sur le point de mourir. Le Docteur Lafitte, qui était aussi déporté à Dachau, et assurait le rôle d'infirmier du camp, s'est privé pendant plusieurs jours de sa maigre pitance de petit déjeuner, pour la donner à René, le sauvant ainsi d'une mort certaine.

Libération du camp de Dachau

Le 23 avril 1945, enfin, les soldats américains libèrent le camp de Dachau. Miraculeusement, René a survécu à cette terrible épreuve...

Son camarade Jean Jamain, arrêté en même temps que lui, n'a pas eu cette chance. Il est mort en déportation au camp de Hersbruck et ne reverra jamais sa famille.

Libertaire Rutigliano, son ancien camarade, interné aussi à Dachau avec René, mourra à peine une semaine après la libération du camp.

Libération du camp de Dachau

René est dirigé, avec ses camarades d'infortune
 vers le lac de Constance entre l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse, d'où il sera rapatrié à Poitiers fin juin 1945. Ce retour en France sera pour lui un moment très fort de sa vie. Je me souviens d'une conversation que j'avais eue avec lui, c'était dans les années 70, dans la prairie de La Roussille, où se tenait chaque année la fête du Parti Communiste des Deux-Sèvres. Il m'avait dit alors : "Tu sais, on a beau être comme moi un internationaliste convaincu, quand on passe la frontière pour rentrer en France, alors qu'on croyait ne plus jamais y revenir, c'est incroyable ce que ça fait aux tripes..."

René avait contracté la tuberculose pendant sa détention, et fut envoyé se soigner en Suisse, qui avait transformé ses hôtels en sanatoriums pour soigner les victimes de la guerre.

Et René est revenu à Saint-Maixent, reprendre son métier de menuisier. Il a aussi bien sûr repris son activité militante.

Hélas, René n'a pas pu revoir son oncle Jules. Celui-ci était décédé quelques mois plus tôt, le 10 mars 1945, sans nouvelles de son neveu.

A son retour, René s'est employé à donner à ses camarades une sépulture digne. En novembre 1945, il a réussi à faire rapatrier au cimetière de Saint-Maixent le corps de son camarade Charles Coutant, ainsi que celui d'Henri Batonnier, un autre jeune résistant saint-maixentais. Ils avaient été fusillés à Biard en juillet 1944.

Henri Bâtonnier

Infatigable passeur de mémoire, il sera à l'origine de la création dans les Deux-Sèvres de la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes (La FNDIRP), et pendant de longues années il sera l'animateur du concours de la Résistance, qui encore aujourd'hui permet, avec la collaboration des professeurs d'histoire volontaires, d'initier les collégiens aux valeurs de justice, de liberté, et de résistance, et de faire perdurer le souvenir des sacrifiés.


Dans les années 50, après le décès de Louis Sapin en 1949, René, qui avait bien développé sa menuiserie, quitte la rue Vauclair, pour s'installer, domicile et atelier, au 10 Avenue Wilson, juste au-dessus de l'école élémentaire.

Ce sera plus tard la menuiserie de notre père Roland, quand René lui cèdera son affaire, au début des années 70.


René continuera bien sûr à militer au sein du Parti Communiste Français, jusqu'à son dernier souffle. Il le représentera à diverses reprises lors des élections, municipales ou cantonales.

Son engagement au service du pays sera enfin reconnu et récompensé, et même si cette reconnaissance a été un  peu tardive (son engagement politique a sans doute été un frein dans la France Gaulliste...), elle a été néanmoins certaine :

Il sera cité à l'ordre de l'Armée en 1956 : "Sous-officier résistant brave et très énergique, s'est dépensé sans compter pour la libération du pays, a été arrêté pour son action clandestine et déporté le 2 juillet 1944 à Dachau, en est revenu le 27 mai 1945, grand invalide".

Il obtiendra la Médaille Militaire, la Croix de Guerre avec palme, la croix du combattant volontaire de la Résistance, la croix du combattant volontaire 39/45.


Il sera fait Chevalier de la Légion d'Honneur en 1974. Puis Officier de la Légion d'Honneur à titre de mutilé en 1992.

René Chaigneau décède le 25 mai 1996. Il a 84 ans.

Symboliquement, sa proximité avec son oncle Jules Chaigneau n'aura jamais été aussi grande, puisqu'il sera inhumé dans la même concession que celui-ci occupait depuis cinquante ans dans le cimetière ancien de Saint-Maixent.

Son épouse Renée l'y rejoindra en 2008.

Le travail de mémoire de René ne s'arrêtera pas malgré tout après son décès. Sa fille Viviane le reprendra à son compte, avec une énergie débordante. Elle assurera à son tour la présidence de la FNDIRP en Deux-Sèvres.

Elle sera à l'initiative d'une cérémonie du souvenir pour honorer tous les résistants de Saint-Maixent, et elle fera apposer une plaque commémorative sur la maison de la rue Vauclair pour honorer la mémoire de son père.


Après le décès de Viviane en 2016, le flambeau reste allumé, porté aujourd'hui par ses filles Claude et Nadine.

 



Commentaires

  1. À nouveau un beau récit Jean-Claude, croisant de nombreuses sources.

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  2. Merci encore pour ce grand travail de recherche. Viviane aurait vraiment apprécié la mise à l'honneur bien méritée de son papa.

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  3. Super ! Grand merci.
    Viviane avait écrit un petit livre sur ses parents que j'avais lu il y a quelques années à cette adresse: https://issuu.com/cecilegirardin/docs/viviane15
    Mais il a l'air de ne plus être accessible... Sauf si certains d'entre vous sont plus doués que moi (ce dont je ne doute pas !) ?
    Dans mon souvenir il y avait plein e photos (avec Roland très jeune notamment).
    Merci pour ce texte !

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  4. Bonjour Merci Jean Claude de nous offrir ce magnifique travail. Je suis ravie de le transmettre à mes fils qui sont très attachés à l histoire de leur arrière grand père et je conserverai précieusement ce document pour mes petits enfants

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