François DEVAIZE, une vie de souffrances...
François Devèze, ou Devaize, ou Devaise, les différentes orthographes se sont succédées au fil du temps et des lieux, est né à Sanxay dans la Vienne, le 15 messidor de l'an XII de la République, autrement dit le 4 juillet 1804.
Mairie de Sanxay,
arrondissement communal de Poitiers,
du vingt unième jour de Messidor l'an douze
acte de naissance de François, né le quinze messidor, à une heure après midi, fils de Marie Devaize, demeurant au chef lieu de la commune de Sanxay, département de la Vienne.
Le sexe de l'enfant a été reconnu être un garçon.
Premier témoin, Louis Fairon, demeurant à Sanxay, profession de cordonnier, âgé de vingt quatre ans.
Second témoin, René Fairon, demeurant à Sanxay, profession de cordonnier, âgé de soixante dix ans.
Sur la réquisition à nous faite par Marie Sabourin, demeurant à Sanxay, profession d'accoucheuse, et ont les dits René Fairon et Marie Sabourin déclaré ne savoir signer de ce requis excepté Louis Fairon qui a signé.
Constaté d'après la loi, par moi Alexis Jean Rigommier, adjoint du maire de Sanxay, faisant les fonctions d'officier public de l'Etat Civil.
La France en réalité n'est plus une République, puisque la loi du 28 floréal an XII (18 mai 1804) vient de proclamer l'Empire, un mois et demi plus tôt, et le Premier Consul Napoléon Bonaparte est devenu Empereur sous le nom de Napoléon 1er.
La déclaration de naissance de François a été faite en Mairie de Sanxay avec un peu de retard le 21 messidor (presqu'une semaine après la naissance) sur la réquisition de Marie Sabourin l'accoucheuse et avec le témoignage de Louis et René Fairon, les cordonniers père et fils du village.
François Devaize est enregistré à l'Etat Civil comme fils de Marie Devaize, sans mention d'un père.
Beaucoup de généalogistes se seraient arrêtés à ce constat sans aller plus loin dans les recherches avec une branche fermée à toute exploration... Mais si c'était si simple... Car en fait Marie Devaize n'est absolument pas une fille-mère (comme on disait alors) ordinaire.
Marie Anne Devaize (appelons-la Marie Anne, c'est son prénom d'usage le plus fréquent...) va mettre au monde en 1793 un enfant de cette union, une petite fille, Anne Jamonneau.
Hélas cette petite fille ne va pas survivre, et elle décède en bas âge le 20 fructidor de l'an II de la République, le 6 septembre 1794, à l'âge d'un an.
A cette époque la France vivait une époque très troublée.
La jeune République, après l'exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793, était menacée aux frontières, face à une coalition armée de toutes les monarchies alentour qui lui avaient déclaré la guerre, et à l'intérieur par la rébellion des chouans, Bretons et Vendéens, regroupés au sein de l'armée catholique et royale.
En août 1793 le gouvernement républicain a décrété la levée en masse de nouvelles troupes pour défendre la République, et les sergents recruteurs ont été envoyés dans toutes les provinces, où chaque commune devait fournir des volontaires. François Jamonneau a fait partie de ceux là, et il est parti combattre dans les armées républicaines.
Il ne reviendra jamais à Sanxay. Et il n'a jamais non plus été déclaré officiellement décédé...
Ce qui du coup, enlève toute possibilité de remariage à Marie Anne...
Elle a attendu longtemps le retour hypothétique de François, mais au bout d'une dizaine d'années, il a bien fallu se rendre à l'évidence... François ne reviendra pas.
Elle a alors rencontré un certain Pierre Dumas, et elle a succombé à ses charmes...
Pierre Dumas exerçait un travail de terrassier à Sanxay. Il n'était pas originaire de la région, il venait de la Haute-Loire, où il était né à Craponne-sur-Arzon le 21 août 1857. Il était le quatrième d'une fratrie de huit enfants au domicile de Jean Dumas, sabotier, et Marie Lagier.
A cette époque, il y avait beaucoup "d'immigrants" de cette contrée dans notre région, l'Auvergne ne parvenait pas à nourrir tout le monde, et Pierre Dumas a dû prendre la route pour aller gagner sa vie, en quittant ses montagnes auvergnates pour les plaines du Poitou, une conquête de l'Ouest avant l'heure en somme...
Pierre Dumas et Marie Anne Devaize auront cinq enfants ensemble. Sans jamais pouvoir se marier, ce qui fait que tous les enfants, au regard de l'Etat Civil, seront considérés comme des enfants naturels. Le concubinage notoire n'était pas encore validé à cette époque.
- Ce sera d'abord Louis Devaize, né au mois de pluviôse de l'an X, soit en février 1802, qui décèdera en bas âge le 5 vendémiaire an XIII, soit le 27 septembre 1804 à 2 ans et sept mois.
- Puis notre François Devaize, le 15 messidor an XII (4 juillet 1804). A noter que si François a été enregistré sous le nom de Devaize comme enfant naturel, il s'est toujours fait appeler Dumas pendant toute son existence, François Devaize dit Dumas, et il a toujours revendiqué cette filiation...
- Marie Anne Dumas, née le 20 décembre 1807. L'officier d'Etat Civil a enfin accepté de l'appeler Dumas, les lois de l'Empire et le code napoléonien ont permis cette évolution et la transmission du nom hors mariage...
- Puis Jean Dumas, né le 30 mai 1810.
- Enfin Louise Dumas le 21 janvier 1813.
Marie Anne Devaize a alors 43 ans. Pseudo-veuve d'un pauvre terrassier et trop âgée pour pouvoir à nouveau procréer, elle n'est pas un parti intéressant pour un éventuel remariage... Elle va devoir finir d'élever ses enfants seule. Le plus âgé, notre François, a 11 ans, la plus jeune, Louise, tout juste 2 ans et demi.
Il est sûr alors que François a dû se mettre au travail très vite... Il fallait bien faire vivre la famille, et une femme seule avec des enfants jeunes en ce temps là, ne pouvait y subvenir.
Il vivra de petits travaux de journalier, embauché au jour le jour, en fonction des besoins et des disponibilités.
Enfin, à 23 ans il rencontre une jeune fille qui lui plaît bien... Elle se nomme Emilie Airault, elle est lingère dans le bourg de Sanxay. Elle a 22 ans, elle est née à Sanxay le 22 brumaire de l'an XIV, soit le 13 novembre 1805, elle est la fille de Jacques Etienne Airault, cordonnier, et de Jeanne Airault son épouse.
A l'été de 1827, François et Emilie se côtoient assidûment. Peut-être même un peu trop assidûment aux yeux de leurs parents...
Du coup la décision est prise de les marier.
Ce sera chose faite le 1er octobre 1827, un lundi matin. Ils se marient à la mairie de Sanxay.
Malheureusement, la fête de la noce est vite gâchée... Le lendemain du mariage, Jean, le jeune frère de François, décède prématurément. Il n'a que 17 ans.
François Devaize et Emilie Airault vont avoir 4 enfants.
- L'aînée est Magdelaine Rosalie Devaize, née le 15 mai 1828, sept mois et demi après le mariage de ses parents.
- Puis viendra Madeleine Devaize, née le 6 septembre 1829. C'est d'elle que nous descendons, puisqu'elle épousera Jacques Ballu en 1850.
- Ensuite, Pierre Devaize, né le 20 juillet 1832. S'il a été déclaré à l'Etat Civil sous le prénom de Pierre, son prénom d'usage était Amant. C'est ce prénom Amant qui figure sur le recensement de Sanxay en 1836, puis sur son acte de décès un peu plus tard.
- Enfin vient Narcisse Devaize, né le 15 avril 1836.
Au recensement de juin 1836, la famille est au grand complet à Sanxay. Malheureusement, ça ne va pas durer...
La vie doit être difficile avec un travail aléatoire, des rentrées d'argent très irrégulières, et donc de grandes difficultés à nourrir tout ce petit monde.
La vie de François Devaize va basculer l'année suivante.
Le 22 décembre 1837, c'était jour de foire à Lusignan, un vendredi. Tous les paysans alentour venaient y négocier leurs animaux avec les maquignons de la région, et les négociations allaient bon train.
Pierre Garnier, cultivateur à Puybernard sur la commune de Marçay, y était allé pour vendre une vache. Il conclut l'affaire vers 2 h de l'après-midi pour une somme, à l'époque conséquente, de 142 Francs.
A 4 heures du soir, alors que la nuit commence à tomber, Pierre Garnier accompagné de son jeune fils de 9 ans, prend à pied la route royale qui mène de Lusignan à Coulombiers pour rejoindre Puybernard.
Alors qu'il traverse une zone boisée, et que la nuit est complètement tombée en cette soirée de décembre, il est assailli par deux hommes qui l'agressent à coups de bâtons et lui volent la bourse contenant les 142 Francs gagnés l'après-midi.
Pendant plusieurs semaines la justice enquête pour identifier les auteurs de ce qui était à l'époque un crime. Deux hommes mal famés seront arrêtés à Poitiers et emprisonnés, mais relâchés peu de temps après, faute de charges suffisantes.
C'est alors que les soupçons se sont portés sur François.
Il habitait désormais avec sa famille au village de la Milletière sur la commune de Ménigoute, tout près du bourg de Sanxay. Il vivait dans le plus grand dénuement et en grande détresse. Peu de temps avant Noël il avait dit à son voisin qu'il aurait été fort embarrassé pour vivre si sa belle-mère ne lui avait avancé un boisseau de blé, parce qu'il manquait d'ouvrage.
Cependant des témoins diront plus tard qu'Emilie sa femme a fait ensuite plusieurs achats inhabituels en monnayant des pièces de 5 Francs... Et puis François n'avait pas une trop bonne réputation à Sanxay, où il oubliait souvent de payer ses dettes et où il avait été soupçonné de quelques larcins, sans pour autant avoir été jamais condamné...
Mais ni aveux, ni identification formelle par Pierre Garnier qui était incapable de reconnaître ses agresseurs, ni éléments matériels irréfutables.
Et pourtant François est arrêté, et le 12 février 1838, il est inculpé de vol avec violence par le juge Duclaud qui ordonne son incarcération à la Maison d'Arrêt de Poitiers.
A cette époque la justice était rapide, et impitoyable pour les miséreux. Tout s'enchaîne alors à grande vitesse...
Le 6 mai 1838, François est transféré de la Maison d'Arrêt de Poitiers à la Maison de Justice.
Le 14 mai 1838 il passe en Cour d'Assise à Poitiers où l'arrêt est prononcé par la Cour composée de Monsieur Mévolhon, président, et de Messieurs Delagarde et Garran-de-Balzan, conseillers (ce dernier nom est bien connu des Saint-Maixentais... Tout le monde connaît la rue Garran-de-Balzan à Saint-Maixent).
François Devaize dit Dumas est
condamné aux travaux forcés à perpétuité !
La peine est particulièrement sévère eu égard à l'infraction reprochée. Dans le même registre d'écrou j'ai vu à la page précédente le cas d'un homme condamné pour assassinat à seulement dix ans de travaux forcés...
Par la même occasion François est déclaré "mort civilement"... La mort civile était une peine complémentaire appliquée aux condamnés à mort, ou aux condamnés à perpétuité. Une façon pour la Société de dire au condamné qu'elle ne veut plus entendre parler de lui, qu'il est désormais censé ne plus exister. Ses enfants d'ailleurs héritent immédiatement de ses biens sans attendre son décès, et la possibilité de remariage est même ouverte à son conjoint (puisqu'il est déclaré mort...)
François Devaize forme un pourvoi en cassation. Le 8 juillet 1838 il est extrait de sa cellule, conduit à Lusignan, où on lui signifie l'arrêt de la Cour de Cassation rendu le 28 juin 1838. Son pourvoi est rejeté pour n'avoir pas respecté le délai maximum pour se pouvoir (grave faute d'avocat ?), et la condamnation aux travaux forcés à perpétuité est donc confirmée et définitive.
Cependant quelqu'un en haut lieu a dû considérer aussi que la peine était sévère et qu'elle méritait d'être un peu amendée. Et par décision du 31 octobre 1838, Sa Majesté Louis-Philippe 1er, roi des Français, a daigné commuer la peine de François en 20 ans de travaux forcés, et l'a dispensé en outre de l'exposition.
L'exposition des condamnés était alors de rigueur. Le Code Pénal impérial publié en 1810 stipulait en son article 22 : "Quiconque aura été condamné à l'une des peines des travaux forcés à perpétuité, des travaux forcés à temps ou de la réclusion, avant de subir sa peine, demeurera une heure exposé au regard du peuple sur la place publique. Au-dessus de sa tête sera placé un écriteau portant, en caractère gros et lisible, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation..." (il fut un temps où cette exposition durait 24 heures...). François en est donc dispensé par la décision de clémence royale.
Si la condamnation de François avait eu lieu quelques années plus tôt, il aurait aussi été soumis à la flétrissure, c'est à dire qu'on lui aurait posé une empreinte au fer rouge sur l'épaule droite. Cette peine de flétrissure a été abolie en 1832 par une ordonnance du roi Louis-Philippe 1er.
François doit donc purger une peine de travaux forcés jusqu'au 31 octobre 1858... Toute une vie à cette époque vu l'espérance de vie d'alors...
Pour François désormais, ce sera
la vie du bagne.
Il y avait trois bagnes en France, ouverts vers 1750, pour remplacer les galères, désormais inadaptées aux nouveaux besoins de la flotte militaire, car il est impossible de mettre des canons sur les côtés des galères, elles ne peuvent être armées qu'à la proue et la poupe...
Il fallait donc construire de nouveaux bateaux de guerre, donc créer des chantiers navals pour la marine de guerre, et reconvertir les galériens en ouvriers de construction pour ces chantiers. On remplacera donc dans l'arsenal judiciaire la peine de galère par celle des travaux forcés.
Les trois grands chantiers navals, et donc les trois bagnes, sont installés à Toulon (1748), à Brest (1749) et à Rochefort (1766).
Le 8 mars 1839, François est en prison depuis 13 mois. Il est extrait de sa cellule de Poitiers, et il est joint à la chaîne des prisonniers qui doivent être conduits au bagne de Rochefort.
La pratique de la chaîne avait pour effet de transformer le voyage en un long chemin de croix, qui traversait les villes et les campagnes, sous les quolibets de la foule des curieux.
C'était un avant-goût des mauvais traitements qui les attendaient à leur destination finale.
François Devaize arrive au bagne de Rochefort le 23 mars 1839, après quinze jours de voyage... quinze jours pour aller de Poitiers à Rochefort, même à pied, la colonne a dû faire quelques détours entre les différentes prisons de la région, pour grossir au fur et à mesure de sa progression...
Il y est enregistré avec le numéro matricule 12 766.
Le bagne de Rochefort, qui comptait entre 1 300 et 1 800 forçats, au plus fort de son occupation à l'époque de la restauration de la monarchie après l'Empire (1815-1830), n'en comptait plus pendant la Monarchie de Juillet, au moment de l'arrivée de François que 1 200 au maximum.
Ce sont les travaux dits de la "grande fatigue", la manutention des pièces de bois les plus lourdes pour la construction des navires, le maniement des treuils de chargement, le halage des navires "à la cordelle", dans un sens ou dans l'autre, sur les 21 km qui séparent le chantier naval de Rochefort de l'embouchure de la Charente.
La vie au bagne était rythmée par le son de la cloche, le réveil à 5 h ou 6 h selon la saison, le départ pour le travail au chantier, le retour le soir à 23 h l'été. Et entre deux, les cris des garde-chiourme et des argousins sur des hommes considérés comme des bêtes de somme.
Certains bagnards, après un temps de "la grande fatigue", pouvaient se voir affectés à des travaux de "la petite fatigue", plus administratifs, ou faisant appel à des compétences particulières acquises dans leur vie professionnelle antérieure. Mais on l'a vu plus tôt, François Devaize ne savait ni lire ni écrire, et n'avait pas appris de vrai métier, hormis éventuellement celui de terrassier, qui ne risquait pas de déboucher sur un travail de petite fatigue...
Il suffit de se pencher sur les registres d'Etat Civil de la Ville de Rochefort à cette époque pour se faire une idée des conditions de détention. Pas loin de la moitié des actes de décès de la ville concernent des décès survenus à l'Hôpital de la Marine, et parmi ceux-ci une grande majorité de forçats.
Il faut croire que notre ancêtre François, du haut de son 1,60 m, était d'une constitution robuste, car il tient le coup et fera partie des survivants du bagne...
Mais il est comme ses camarades d'infortune, complètement coupé du monde.
Quand le 29 août 1842 son plus jeune fils Narcisse décède à son tour à l'âge de 6 ans, il ne le saura pas non plus...
Quand le 16 avril 1849, sa mère Marie Anne Devaize décède à Sanxay à l'âge avancé de 76 ans, il n'en sera pas davantage informé.
Le 15 octobre 1850, sa fille aînée, Madeleine Rosalie, épouse à Sanxay Pierre Martin, âgé de 26 ans, tisserand. Il est le fils naturel de Marguerite Martin et d'un père inconnu.
Bien sûr François Devaize ne le saura pas non plus. Et sa fille est dispensée de son approbation puisqu'il est mort civilement...
En ce milieu du XIXème siècle, le régime politique en France change. Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la 2ème République Française après la révolution du 24 février 1848, qui a mis fin au règne de Louis-Philippe et à la Monarchie de Juillet.
Mais cette république ne s'inscrira pas dans la durée. Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte réalise son coup d'Etat et se désigne Empereur des Français sous le nom de Napoléon III, ouvrant ainsi la période du Second Empire qui va durer vingt ans jusqu'à la défaite de Sedan, à la fin de la guerre de 1870.
François Devaize pour sa part a dû se féliciter de tous ces changements qui lui auront été profitables. En effet, une dépêche ministérielle reçue le 4 mai 1851 au bagne de Rochefort, l'informe que par décision du 1er mai 1851, le Prince-Président lui octroie une remise de peine de trois ans... Lui qui devait purger sa peine jusqu'en 1858 sera libérable dès 1855...
A cette époque aussi, de grands changements ont lieu dans l'organisation carcérale, qui concernent directement notre pauvre aïeul.
Les bourgeois de Toulon, de Brest, de Rochefort, supportent mal la présence à proximité de leurs domiciles, de cette foule de forçats qui risquent de nuire à leur sécurité. Et la misère des autres est toujours difficile à supporter quand elle est étalée devant vos yeux... Et puis, ces bagnards prennent du travail qui pourrait revenir aux pauvres journaliers honnêtes qui eux ont du mal à en trouver...
Et la France est très critiquée en Europe à propos de cette politique carcérale inhumaine.
En outre avec les progrès de la mécanisation, le développement de la marine à vapeur, on a de moins en moins besoin des forçats pour les travaux des chantiers navals.
Par contre on en aurait bien besoin dans nos colonies lointaines, surtout depuis qu'on a aboli définitivement l'esclavage par le décret du 27 avril 1848... et puis là-bas, on les verrait moins...
Alors c'est décidé, on va fermer les bagnes métropolitains pour en ouvrir outre-mer, principalement en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.
Le bagne de Rochefort sera le premier à fermer ses portes. Les premiers départs de forçats auront lieu en février 1852 et s'échelonneront jusqu'à la fermeture définitive en 1854.
François, qui doit commencer maintenant à compter parmi les plus anciens du bagne de Rochefort, fera partie du tout premier voyage de départ des prisonniers.
Ils sont 350, extraits au cours de février 1852 du bagne de Rochefort et conduits en petites chaloupes jusqu'à l'île d'Aix au large, où ils sont enfermés dans le Fort Liédot en attendant leur embarquement.
Le Mogador, construit en 1840, est une frégate à roue de 71 m et de 2 740 tonneaux.
Ce bateau a servi au transport des forçats vers Cayenne, ainsi qu'au transport des prisonniers politiques algériens vers la métropole. Il prendra part ensuite en 1853-1854 à l'expédition militaire en Crimée, où il évoluera face à Sébastopol, bombardera enduite Odessa, et servira au rapatriement des blessés.
Il sera enfin mis en réserve en 1868, puis démoli en 1879 à Toulon.
Le 28 février 1852, après une nuit en mer, François Devaize arrive au bagne de Brest, où il est enregistré sous le n° 3 746.
Sinon, avec une peine plus longue à purger, il y a fort à craindre qu'il aurait fait partie du voyage suivant du Mogador, le 22 avril 1852, avec 194 forçats, entre Brest et Cayenne, les 194 premiers envoyés outre-mer... et il n'en serait sans doute jamais revenu...
Ainsi donc, François Devaize était désormais à Brest quand sa seconde fille, Madeleine, notre aïeule, épouse Jacques Ballu à Sanxay, le 23 novembre 1852. Jacques Ballu, maçon, est âgé de 28 ans, né le 22 mars 1824. Il est le fils des défunts Jean Ballu et Marie Richer. Madeleine Devaize quant à elle, a 23 ans, née le 6 septembre 1829. Elle est lingère à Sanxay.
Enfin vient l'année 1855. La fin annoncée du calvaire de François Devaize.
Il est libérable au deuxième trimestre de 1855. Il ne lui sera fait aucune faveur... C'est le 28 juin que les portes du bagne de Brest s'ouvrent enfin pour ce désormais ex-forçat, qui a fini de payer (et largement) sa dette à la Société.
En sortant du bagne, les forçats se voient affectés à un lieu de résidence imposé, auquel ils ne peuvent déroger, car même s'ils ont achevé leur peine, ils restent définitivement soumis à une surveillance constante à vie.
François a obtenu d'être assigné à résidence chez lui, là où il a ses origines, à Sanxay.
Comment a-t-il rejoint Sanxay depuis Brest ? Difficile à savoir... Il n'avait sans doute pas les moyens de s'offrir un moyen de transport par les services de diligence. A moins qu'il ait pu amasser un petit pécule pendant sa détention, car lorsque les bagnards étaient affectés aux travaux forcés "de petite fatigue", ils étaient (un peu) rémunérés, et leurs gains étaient conservés par l'administration pénitentiaire en vue de leur sortie.
Toujours est-il qu'on peut l'imaginer un soir frapper à la porte de la petite maison de la Rue du Four Banal à Sanxay, où demeurait alors Emilie Airault, son épouse. Elle a immédiatement reconnu ses yeux bleus, ses cheveux et ses sourcils châtains, quoiqu'un peu grisonnants désormais, l'ovale de son visage, et la petite tache qui marque le côté droit de son menton...
Comment ont pu être ces retrouvailles, après plus de 17 ans d'absence ? Ils ont sans doute beaucoup pleuré.
François aura le temps de faire la connaissance de trois de ses petits enfants, les trois plus âgés.
Berthe Martin, la fille de Rosalie Devaize, née le 30 septembre 1852.
Louise Céline Ballu, la fille aînée de Madeleine Devaize, née le 4 septembre 1853.
Narcisse Ballu, notre aïeul suivant, deuxième enfant de Madeleine, né le 2 novembre 1855.
Usé par cette vie d'épreuves et ses 17 années de privation de liberté, François décède à Sanxay le 12 août 1856, un peu plus d'un an après son retour. Il a 52 ans.
Emilie lui survivra jusqu'au 18 octobre 1873, date à laquelle elle disparaît à son tour, à l'âge de presque 68 ans.
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