La Grande Guerre d'Alix Thébault

 

Notre arrière-grand-père, Alix Thébault, est né sur la commune de Fomperron à côté de Saint-Maixent, le 17 août 1889. Il est le fils aîné de Jules Thébault, agriculteur au village de La Robelière et de Marie-Berthe Magnou .

Un peu moins de deux ans plus tard, le 13 mai 1891, vient au monde à La Robelière, son jeune frère Eugène.

Alix a un peu moins de 14 ans quand son père décède à La Robelière, le 24 avril 1903, à l'âge de 39 ans.

Sa mère Marie-Berthe devient alors chef de ménage et les deux garçons, Alix et Eugène, sont recensés en 1906 comme "aides agricoles".



Arrive bientôt pour les deux frères l'âge du service militaire...





Le 04 octobre 1910, à 21 ans, Alix est affecté au 32ème Régiment d'Infanterie, à Châtellerault. Il y accomplira ses deux années réglementaires de service armé, du 04 octobre 1910 au 25 septembre 1912, date à laquelle il est renvoyé dans la disponibilité, après que lui soit accordé un certificat de bonne conduite.





Son frère Eugène pour sa part est affecté le 8 octobre 1912 au 20ème Régiment d'Artillerie à Poitiers. Sauf que lui, à la fin de ses deux ans, il ne rentrera pas tout de suite... Nous sommes alors en octobre 1914, ça va encore durer un peu...

 








Après avoir été libéré de ses obligations militaires, fin 1912, Alix est revenu à La Robelière, s'occuper de la ferme familiale.

Et c'est en 1913, le 22 octobre, qu'Alix Thébault et Marie-Louise Alix, mes arrière-grands-parents, se marient à la mairie de Fomperron. Il a 24 ans, elle a 20 ans.

 

A gauche des mariés : Athalie Mitard et Jacques Elie Alix, les parents de Marie Louise.
A droite des mariés : Désiré Mitard le grand-père de Marie Louise et Marie Berthe Magnou la mère d'Alix.

   

Après leur mariage, Alix et Marie-Louise s'installent à La Pierrière, sur la commune de Saivres, dans la ferme appartenant à la famille de Marie Louise. C'est son grand-père, Désiré Mitard, qui a fait construire la maison de La Pierrière, entre 1866 et 1870.


Le 01 août 1914, la guerre est déclarée entre la France et l'Allemagne et la mobilisation générale est décrétée. Alix doit rejoindre son régiment, et il arrive au 32ème Régiment d'Infanterie à Châtellerault le 03 août. Il a dû laisser Marie Louise enceinte et presque en fin de grossesse, leur fille Lucienne est née tout juste un mois plus tard, le 4 septembre 1914, il ne sera pas présent pour sa naissance...

Débarquement des trains sur la zone
de regroupement en Lorraine
(illustration P. Hellin)


Dès le 5 août, le régiment sous les ordres du Colonel Mézière embarque en train en direction de la Lorraine, où il va combattre dans le secteur de Nancy, à Nomény, Saint-Nicolas-du-Port, entre le 15 et le 25 août , et perdre 400 hommes en 10 jours de combat.

Quel baptême du feu !






Puis le régiment se dirige sur la Belgique où il participe à la bataille de Berthoncourt, une contre-attaque à la baïonnette où le régiment perdra encore 700 hommes.

Enfin c'est direction la Marne, pour la grande bataille de la Marne, où il combattra à Connantray et à Fère-Champenoise du 06 au 08 septembre 1914. Les combats y sont encore particulièrement rudes : Le Colonel Mézière est tué. Le régiment perd encore 630 hommes.

C'est là, à Fère-Champenoise qu'Alix sera blessé pour la première fois le 07 septembre, d'une balle dans la poitrine . Il l'a échappé belle ! Il est évacué le 7 septembre 1914, et revient dans le régiment après des soins, un mois et demi plus tard, le 28 octobre.



Fère-Champenoise : sépultures d'officiers et de soldats de plusieurs régiments,

dont du 32e RI, tombés lors de la bataille de la Marne (1914).


Puis ce sera la bataille de l'Yser et la bataille d'Ypres dans les Flandres en Belgique entre le 22 octobre et le 17 novembre 1914.

D'août à novembre 1914, le 32ème d'infanterie aura perdu au total 1 900 hommes avant d'être mis au repos à Vlamertinghe en Belgique, où le régiment passe sous le commandement du lieutenant-colonel Rondeau.

Ouf, Alix et ses camarades de combat vont quand même pouvoir un peu souffler jusqu'à la fin de l'année 1914.


Le régiment est gazé en avril 1915
 (illustration P. Hellin)
Début 1915 le régiment poursuit la bataille des Flandres de janvier à mars, puis est mis au repos dans la Somme. Alix est revenu sur le territoire français et a quitté la Belgique.

Alors que le régiment devait aller prendre part à la bataille de l'Artois, il est déplacé de toute urgence sur la Belgique, pour la deuxième bataille d'Ypres, avec pour mission d'arrêter et de contre-attaquer l'ennemi qui tente une percée. 

C'est là le 26 avril que le régiment subira une attaque aux gaz asphyxiants. Il parviendra malgré tout à atteindre tous les objectifs assignés.

Ils reviennent en Artois le 6 mai 1915 et mis au repos à Villers-Chatel.



Le régiment s'engage ensuite dans la bataille de l'Artois qui va durer près de neuf mois, jusqu'en février 1916. Là il va découvrir le confort des tranchées allemandes après les avoir conquises. Il participe aux combats de Souchez, de Kiel, de Vimy, de Loos-en-Gohelle.

Les hommes franchissent le canal d'Ypres, enlèvent 300 mètres de tranchée à la baïonnette, capturent un officier allemand avec 45 soldats et leurs mitrailleuses.

Le 19 mai, le régiment tout entier reçoit les félicitations du général Putz, commandant le corps d'armée en Belgique.


Après cette période de durs combats, le régiment est mis au repos du 30 juin au 30 août. Il recevra pendant cette période de repos, la visite du Président Poincaré, du Roi des Belges Albert, du Général Joffre et du ministre de la guerre Millerand. Et le 14 juillet 1915, à l'occasion de la fête nationale, le 32ème est cité collectivement à l'ordre de l'armée pour avoir enlevé les tranchées allemandes.

Le 17 juillet 1915, le commandement du régiment est confié au lieutenant-colonel Desgouille, dont le nom a dû beaucoup amuser les soldats du rang.

Pendant cette période de repos du régiment, Alix obtiendra à titre individuel, une permission bien méritée, et il reviendra passer un moment à La Pierrière à l'été 1915, pour retrouver Marie-Louise et faire la connaissance de sa fille Lucienne qui va bientôt avoir 1 an (et du coup son fils André, notre tonton Dédé, viendra au monde 9 mois plus tard le 19 mai 1916...).


Fin 1915 et début 1916, le régiment connaît une période de calme relatif, se contentant de tenir les positions dans le secteur de Loos-en-Gohelle dans le Pas-de-Calais.

Mais le calme ne va pas durer. Le régiment est déplacé à travers la Champagne et la Meuse, et va participer à tous les grands combats défensifs de 1916 et 1917.

Ce sera d'abord la dure bataille de Verdun où le régiment sera engagé de mars à mai 1916 et subira de lourdes pertes. Notamment le 30 avril à Jubécourt, une centaine de soldats périssent lors d'un bombardement aérien, évènement extrêmement rare à cette époque où l'aviation militaire, comme l'aviation tout court, était encore balbutiante...

Alix est donc dans les tranchées de Verdun quand son fils André vient au monde le 16 mai. A quel moment en sera-t-il informé ? Difficile à savoir... L'acheminement du courrier sur le front à cette époque devait être un sacré casse-tête.

Puis ce sera la Champagne de juin à septembre où le 32ème tient le secteur de Souain pendant 90 jours consécutifs.

Après un temps de repos, le régiment intègre la bataille de la Somme à partir d'octobre 1916, où il subira encore des pertes importantes, 500 hommes.

Le 32ème restera sur le secteur de la Somme d'octobre 1916 à janvier 1917, où il organise la défense du terrain, au prix d'efforts considérables.

C'est là, à Sailly-Saillisel, qu'Alix sera de nouveau blessé le 07 novembre 1916. Cette fois, c'est un obus qui explose un peu trop près derrière lui. Il reçoit des éclats d'obus dans le bas du dos, dans la région lombaire. La plaie n'est pas trop profonde et la blessure reste sans gravité. Evacué le 07 novembre il est de nouveau au régiment le lendemain 08 novembre après quelques sutures, ce n'était pas le moment pour les médecins d'occuper des lits trop longtemps...


Ses deux blessures lui vaudront plus tard une première citation à l'ordre du régiment : "Blessé le 7 septembre 1914 et le 7 novembre 1916, soldat courageux et dévoué ayant toujours donné le plus bel exemple à ses camarades par sa bravoure et son sang- froid" .


En février et mars 1917, le régiment est en Champagne pour en consolider la défense, puis se retire au camp de Mailly avant d'être dirigé en avril vers l'Aisne.

Là il participe à la grande bataille du Chemin des Dames, dans le secteur de Craonne tout au long du mois de mai 1917.

C'est à cette époque que commencent à survenir quelques mutineries parmi les soldats, pour lesquelles presque trois ans de guerre commencent à peser. Le 32ème n'y échappe pas et connaîtra lui aussi sont lot de condamnations, dont certaines à mort, par le Conseil de Guerre.

Mais vaille que vaille, les hommes continuent de monter à l'assaut et le 24 mai ils s'emparent du réseau de courtines allemandes après une attaque au lance-flammes.

Désormais placé sous le commandement du lieutenant-colonel Sauget, le 32ème tient le terrain jusqu'au 20 juillet sous de violents bombardements qui feront encore de lourdes pertes humaines (500 hommes). Le régiment est enfin relevé le 22 juillet, et après ses exploits du Chemin des Dames, reçoit à partir du 15 août 1917 le droit à l'honneur de porter la fourragère verte des titulaires de la Croix de Guerre, et il est cité à l'Ordre de l'armée pour l'attaque des courtines.


Drapeau de la Garde du 32ème RI

Enfin le régiment reçoit un repos bien mérité à partir du 27 juillet 1917, repos qui va durer jusqu'en septembre 1917.

Nul doute qu'alors les soldats ont pu bénéficier de permissions individuelles, et à l'été 1917, Alix a dû pouvoir là encore revoir La Pierrière et participer aux moissons.

En octobre 1917, le régiment est en Lorraine, dans le secteur de Toul et Lunéville, où les hommes sont rejoints par des Américains qui viennent s'entraîner avec eux. Va s'ensuivre une période de quatre mois loin du front, pour assurer l'instruction des troupes américaines avant les combats de 1918.

Et puis il fallait bien se reposer et se préparer pour la suite, car à partir de début 1918, les hommes vont être sûrs qu'ils sont bien des fantassins, car ils vont faire beaucoup de marche à pied...

Ils vont d'abord se déplacer à pied de Lorraine jusqu'aux Vosges. Puis ils embarquent en train pour se diriger vers Langres.

Ils vont ensuite se déplacer de plus de 100 km à pied dans la neige, pour relever le 66ème RI à Neufchâteau-Grand-Bréchainville, puis en train pour le nord de Baccarat.

C'est en avril 1918 qu'ils vont de nouveau entrer dans le combat intense. Ce sera du côté de Compiègne, où ils vont enfin découvrir l'arrivée des premiers chars à la rescousse. Pour préparer un assaut, vu du côté des fantassins, c'est quand même mieux qu'une baïonnette...

C'est là que notre aïeul Alix va se comporter en grand soldat, ce qui lui vaudra une nouvelle citation à l'ordre du régiment :  " Le 18 avril 1918, l'officier ayant été tué et la mitrailleuse mise hors d'usage, s'est déployé en tirailleur et a continué le feu avec le mousqueton, et a de ce fait aidé à tenir l'ennemi en respect "

Ce comportement courageux va lui valoir également d'être promu au grade de caporal. Il devient désormais responsable du commandement d'une escouade de soldats.

Le plus fort des combats aura lieu en juin, où du 8 au 10 juin 1918, le 32ème va résister héroïquement au Matz, où il va encore perdre 650 hommes, jusqu'à ce qu'une contre-attaque dirigée par le Général Mangin, desserre l'étau dans lequel ils étaient pris. Événements qui vaudront au régiment une nouvelle citation au drapeau.

Et aussi une troisième citation à l'ordre du régiment pour notre grand-père : " Caporal d'un sang-froid et d'une bravoure légendaire. Au cours des affaires des 9 et 10 juin 1918, commandant une pièce isolée, a fait preuve de la plus grande initiative dans le commandement de son équipe. Est resté en place jusqu'à réception de l'ordre de repli"

Mis en alerte le 14 juillet 1918, le régiment va participer à la deuxième bataille de la Marne, où il passe à l'offensive à partir du 17 juillet, pour les combats des Pozarts, du Clos-Milon, Sainte-Croix, la prise de Dormans le 20 juillet, puis la traversée de la Marne, la prise de Chassins le 25 juillet, celle de Vincelles le 27. Le régiment va faire plus de 120 prisonniers avec leur matériel, et rejeter les troupes d'élite allemandes.

Ces combats donneront au régiment deux autres citations à l'ordre de l'armée, l'une pour sa résistance héroïque et son maintien devant des forces supérieures en nombre, l'autre pour avoir pendant dix jours consécutifs chassé et poursuivi l'ennemi sur et au-delà de la Marne au prix de dures fatigues. Les hommes du régiment peuvent désormais porter la fourragère jaune de la Médaille Militaire.

Début août, le régiment est relevé et cantonne sur les bords de la Marne, puis est transporté en camion jusqu'à La Ferté-sous-Jouarre, et en train jusqu'à Mussey dans la Meuse, où il est mis en repos du 7 au 20 août 1918.

Puis il occupe à nouveau les lignes de Verdun, qui sont relativement calmes depuis plusieurs mois après la boucherie de l'année 1916.

Calme peut-être, mais ça n'empêche pas encore des combats en octobre 1918 au bois des Caurières, au bois d'Haumont sur la côte 329, les derniers soubresauts du conflit qui arrive à son terme.

Ce qui donnera encore à Alix l'occasion de s'illustrer à nouveau, et d'obtenir sa quatrième citation à l'ordre du régiment : " Mitrailleur digne de tout éloge, le 12 octobre 1918 est arrivé à la tête des Compagnies d'Infanterie et a mis en batterie, réduisant au silence une mitrailleuse allemande qui prenait de flanc les Compagnies d'assaut ".

Ce seront les derniers combats d'Alix. Quand l'armistice est signé, le 11 novembre 1918, le régiment est à Saint-Nicolas-du-Port, précisément là où il avait commencé la guerre, quatre ans plus tôt.


Le 16 novembre 1918, les hommes du 32ème traversent la Lorraine libérée des Allemands, franchissent la frontière allemande le 30 novembre, et défilent le 30 décembre dans les rues de Sarrebruck, où ils reçoivent solennellement des mains du Maréchal Pétain la fourragère aux couleurs de la Médaille Militaire.


Le 18 février 1919, le 32ème RI arrive à Coblence où il relève le 2ème Corps d'Armée Colonial, pour surveiller le Rhin pendant quatre mois, et le 23 juin 1919, il a terminé sa mission.


Le 32ème rentre victorieux à Châtellerault le 5 octobre 1919 où sont organisés un défilé, une réception et des festivités toute la journée.


Défilé victorieux du 32e RI à Châtellerault en 1919

sous un arc décoré aux armes de la « Manu »


Les écoliers de Châtellerault rendent les honneurs au 32e RI.

 

 

Alix Thébault n'a pas participé à cette dernière phase de la mission.

Il a été libéré de ses obligations militaires dès le 12 mars 1919, date à laquelle il est rentré à La Pierrière, la tête haute, retrouver les siens.

Ses faits d'armes lui vaudront à titre individuel la Croix de Guerre et la Médaille Militaire.

Et modestement, à 30 ans, il reprendra le cours de sa vie d'agriculteur, pour s'occuper de sa famille, et reprendre les travaux de la ferme, assurés en son absence pendant quatre ans par Marie-Louise, aidée de ses parents Jacques et Athalie Alix, et même de son grand-père Désiré, qui dans la mesure du possible devait bien mettre la main à la pâte...

Athalie Mitard épouse Alix, la maman de Marie Louise est décédée à La Pierrière le 18 juin 1920 à l'âge de 56 ans.

Son mari, Jacques Alix, est décédé quant à lui un an plus tard, le 18 septembre 1921, à l'âge de 62 ans.

Désiré Mitard, le grand-père est décédé à La Pierrière le 29 avril 1923, il avait 83 ans.

En 1925, le 5 février, naîtra une fille, Geneviève, au foyer d'Alix et Marie-Louise Thébault. Elle ne survivra pas, et décèdera le lendemain, 6 février.

En 1950 Alix Thébault tombe malade, et il doit céder la ferme de La Pierrière qu'il ne peut plus exploiter. C'est ce qui provoque le départ de la famille pour Saint-Maixent. Il décède à Saint-Maixent le 01 février 1951 à l'âge de 62 ans.

Marie Berthe Magnou, veuve Thébault, la mère d'Alix, décède à Saint-Maixent le 2 mars 1959. Elle a 93 ans. Elle est inhumée aux côtés de son mari qui repose depuis 56 ans dans le cimetière de Fomperron.

Marie Louise quant à elle décèdera à Saint-Maixent le 5 décembre 1988, à l'âge respectable de 95 ans.

Quant à Eugène, le jeune frère d'Alix, après avoir fait toute la guerre de 1914-1918 dans l'artillerie, il a épousé en 1920 Louise Bardin, une lointaine cousine de Marie Louise, et ils sont tous les deux morts sans enfants à Ruffigny, lui en 1974, à 83 ans, et elle en 1978, à 83 ans également.


Sources : Archives personnelles, Archives Départementales, Fiche Wikipédia du 32ème RI

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