C comme... Cabaretier
Au XVIIIᵉ siècle, bien avant les grandes réformes et les secousses révolutionnaires, Augé était un bourg paisible du Saint-Maixentais, posé entre champs, chemins creux et bois sombres. À l'entrée du village, au bas de la grande côte de Champmargou, face à la vieille église Saint Grégoire, se tenait le cabaret de Pierre Quinault . Une maison de pierres blondes, coiffée d'un toit de tuiles moussues, avec une grande porte toujours entrouverte, comme une invitation permanente.
Pierre, la cinquantaine robuste, portait une manière de bonté directe, un peu bourrue mais rassurante. Chaque matin, avant que le soleil n'effleure les prés, il allumait le feu dans l'âtre et tirait d'un geste sûr le premier pichet de vin. Le bois crépitait, répandant une odeur de chaleur mêlée à celle du vin rouge qui attendait dans les grandes barriques cerclées de fer.
Le cabaretier connaît tout le monde, et tout le monde le connaît. Les métayers des fermes alentours, les muletiers de passage, les femmes venant du lavoir… Tous poussaient la porte en lançant un « Ben l'bonjour, Maître Quinault ! »
auquel il répondait d'un sourire taillé dans le quotidien.
Sa salle, sombre mais animée, n'avait rien d'opulent : trois tables massives usées par le temps, un vieux comptoir fait de planches inégales, quelques bancs bringuebalants. Pourtant, c'était l'endroit où l'âme du village battait le plus fort. On y entendait les nouvelles en provenance de Parthenay ou de Niort, on y discutait des impôts du seigneur, du prix du sel, des rumeurs sur les brigands qui sévissaient dans la Gâtine voisine.
Pierre, souvent les bras croisés devant son tablier, ne perdait jamais une miette. Il savait écouter avec une attention rare. Et quand les débats s'enflammaient, il posait la main sur le comptoir et disait simplement :
— « Du calme, mes amis… Y'aura du vin pour tout le monde, mais pas de querelles sous ma charpente. »
La phrase, toujours la même, avait un pouvoir étonnant. Les épaules se détendaient, les voix baissaient, et les cartes et les dés reprenaient leur danse sur les tables.
Les soirées d'hiver étaient les plus belles. Les lanternes posaient une lumière dorée sur les visages fatigués de la journée. Un violoneux du village, parfois un joueur de vielle à roue, tirait quelques airs qui donnaient vie au cabaret. On chantait, on tapait du pied, on racontait des histoires de loups aperçus dans les bois du Défend. Pierre circulait entre les tables, réservant un vin simple mais honnête, avec cette vigilance tendre de celui qui protège un havre.
Il n'était pas seulement cabaretier : il était gardien de la mémoire d'Augé , témoin des années qui passent, des récoltes trop pauvres, des hivers trop longs, des joies bruyantes des fêtes paroissiales. Les voyageurs disaient parfois que son cabaret était plus chaleureux que bien des auberges de ville, et Pierre en tirait une fierté pudique.
Pourtant, au fond de lui, il sentait gronder quelque chose dans le royaume. Les impôts pesaient, les colères couvaient, et les discussions devenaient plus vives qu'autrefois. Mais tant que son feu brûlait, tant que sa porte restait ouverte, Augé avait un refuge où la vie reprenait son rythme naturel, à hauteur d'homme.
Ainsi vécut Pierre Quinault, cabaretier du XVIIIᵉ siècle, colonne discrète mais essentielle du bourg d'Augé, un homme dont la maison n'avait rien d'un simple débit de boisson, mais tout d'un cœur battant au milieu de la campagne poitevine.
Pierre Quinault n'est pas dans notre ascendance directe, il est dans notre arbre parce que ses deux fils Pierre-Théodore et Gabriel ont épousé Suzanne et Marie Cailler, les filles de Jean Cailler le charpentier du village, les deux sœurs de notre aïeule Françoise Cailler, épouse de Damien Goutefangea.
Pierre Quinault est né en 1713 ,à La Barre, dans la paroisse d'Augé chez Emmanuel Quinault et Catherine Chaignon. En 1741 il épousa dans l'église Saint Grégoire Jeanne Jorigny, et ils ouvrirent leur cabaret.
Ils auront dix enfants entre 1743 et 1762.
Pierre Quinault et Jeanne Jorigny vont décéder à peu de jours d'intervalle, les 03 et 13 mars 1767. C'est leur fils Pierre-Théodore qui poursuivra l'activité du cabaret, et il emploiera même pour un temps notre aïeul Damien Goutefangea, son beau-frère. Mais ce sera une autre histoire dans cette série...
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