L comme... Laboureur.



 

Dans notre arbre il y en a pléthore, tant cette profession était majoritaire, avec celles de fermiers et de journaliers, autrefois dans notre région rurale. Notre ancêtre Pierre Alix était de ceux là.

Les laboureurs étaient dans une situation bien plus enviable que celle des journaliers, déjà évoquée dans cette série. En effet, ils ne dépendaient pas du bon vouloir d'un maître pour trouver du travail, ils exploitaient à leur compte une ferme qu'ils possédaient parfois, qu'ils louaient souvent, et vivaient ainsi en autonomie. Et quand ils étaient dits laboureurs à charrue ou laboureurs à bœufs, cela signifiait qu'ils étaient propriétaires de leur outil de travail, et donc plus aisés que ceux qu'on appelait laboureurs à bras, qui étaient plutôt des salariés agricoles, voire plus proches des journaliers.

Pierre Alix est né à Saivres en 1714. Son père Jonas Alix et sa mère Françoise Bouffard, sont les fermiers de la Cour de Vix.

En cette année 1743, Pierre a 29 ans. Depuis qu'il est en âge de mener les bœufs, puis de pousser la charrue, il travaille avec son père Jonas. Cette année 1743 est importante pour lui. Il s'est promis à Marie Scholastique Dubois, la fille du défunt maréchal-ferrant du Pont de Saivres, un ami protestant de son père, décédé deux ans plus tôt, et ils vont se marier.

Mais Pierre ne peut pas quitter ses parents. Son père Jonas commence à se faire vieux, il va sur ses 68 ans, et il ne peut plus assumer seul une ferme.

Pierre a bien un frère aîné, Philémon, mais celui-ci exploite déjà une ferme appartenant au Sieur Dauzy, à l'autre bout de la paroisse de Saivres, à Saugé, tout près du village d'Exireuil, et il ne peut pas les accueillir.

Pour faire vivre deux familles, il leur faut une ferme plus grande. La ferme de la Berthonnière dans la paroisse d'Augé, qui était exploitée auparavant par la famille de Louis Gaultier, vient de se libérer. Elle sera donc reprise par Jonas Alix et Pierre. Et après leur mariage, au mois de septembre 1743, à la Saint Michel, Pierre et Marie s'installent à la Berthonnière, avec Jonas et Françoise.

La ferme de la Berthonnière est aujourd'hui réputée, c'est là où, un peu moins de trois siècles plus tard, sont élevés les fameux canards gras des frères Morille.

L'aube se lève à peine ce matin vers l'Est, au-dessus de la vallée du Plessis, en ce jour d'automne. Une brume pâle glisse entre les haies, s'effiloche sur les peupliers immobiles. Dans la maison encore endormie, Pierre se lève sans bruit. Le feu s'est éteint dans la nuit, il ravive les braises, verse un peu d'eau dans la marmite.

Marie dort encore, mais il sait qu'elle le rejoindra bientôt, le fichu noué, la coiffe un peu de travers.

Il mange en silence, une croûte de pain trempée dans la soupe d'hier. Puis il sort. L'air frais l'entoure, humide, chargé de l'odeur du fumier, qu'il épandra bientôt quand il aura terminé les labours. Dans l'étable, les bœufs soufflent doucement, leur haleine fait de petits nuages ​​dans la lumière grise du matin. Il les sangle avec soin, vérifie le harnais, puis charge la charrue sur le char.

Il laisse à son père Jonas la charge de s'occuper de la petite besogne dans les étables, la traite des quelques vaches, le nourrissage du cochon. Lui se garde les travaux de force, ceux qui exigent la vigueur de sa jeunesse.

Les champs l'attendent. De longs rubans de terre sombre, encore perlés de rosée. Pierre s'arrête un instant au bord du labour : il connaît chaque motte, chaque pierre. Ici la terre est lourde, mais fertile. C'est la richesse de sa vie, la mesure de sa peine et de sa fierté.

Le soleil s'élève lentement. Le soc fend la terre, et la charrue crisse dans le silence du matin. Pierre avance, le dos courbé, les mains agrippées aux mancherons.

La journée s'étire. Les sillons s'allongent, bien droits, comme des lignes tracées pour l'éternité. A midi, Marie arrive, un panier au bras : du pain, un peu de fromage, une gourde de vin rouge. Ils mangent assis sur le bord du champ, le visage tourné vers le soleil et le vent du midi. On ne parle pas beaucoup, le vent emporte les mots, et la terre réclame le silence.

L'après-midi, la chaleur s'installe. La charrue s'enfonce, le guéret colle aux sabots. Pierre sent la fatigue dans ses bras, dans son dos, mais il continue, inlassable. C'est ainsi depuis son père, et le père de son père avant lui. Le travail, la terre, les saisons : tout se répète, tout recommence, comme un vieux cantique que l'on connaît par cœur.

Quand vient le soir, le ciel s'empourpre. Les bœufs rentrent au pas, lourds, paisibles. Pierre nettoie leurs flancs, remet du foin dans les râteliers, puis s'assoit un instant sur le banc, devant la porte. La campagne s'apaise. Le vent du Sud, apportant la douceur avec lui. Ce soir on entend très bien la cloche de la vieille église Saint Grégoire d'Augé, qui sonne l'angélus au loin. Pierre et Marie, eux, sont les héritiers d'une longue lignée de protestants, ils ne se rendront pas à la messe catholique. Ils se réserveront pour les assemblées au désert, conduites par le Pasteur Gamain.

Marie a rallumé le feu, on soupera d'une bouillie tiède. Puis à la veillée, pendant que Marie et Françoise cousent et tricotent auprès de l'âtre, Jonas et Pierre parlent un peu des récoltes, de la taille qu'il va bientôt falloir payer.

Le père Jonas est irrité. "- Rends-toi compte Pierre, cette année ce sont 104 livres que les collecteurs nous réclament. Et notre voisin, le Seigneur de l'Houmelière, qui perçoit des rentes de tous les paysans de la contrée, ne versera pas même un sol ! Il faudra bien un jour que ça change !.."

Pierre écoute, mais son esprit s'égare. Par la fenêtre, il aperçoit, sous la lune montante, les sillons qu'il a tracés ce jour là. Une fierté l'envahit.

Après trois années passées à la Berthonnière, au décès de la mère Françoise, Pierre et Marie, accompagnés du vieux Jonas, vont prendre possession de la ferme de la Tavelière, à peine un quart de lieue plus loin, une ferme qui appartient à ces messieurs les Abbés des Châteliers.

Ils y resteront jusqu'au décès du père Jonas en 1753, il avait 78 ans. Après quoi, ils occuperont la ferme de Vuzé, dans la paroisse de la Chapelle Bâton. Ils y élèveront leurs dix enfants, dont huit atteindront l'âge adulte.

Pierre et Marie attacheront une grande importance à leur éducation, tous apprendront à lire et à écrire, et ils deviendront des citoyens impliqués.

Pierre Antoine sera élu député de la paroisse de La Chapelle Bâton, lors de la convocation des Etats Généraux en 1789, et c'est lui qui rédigea le cahier de doléances de la paroisse, destiné au roi Louis XVI.

Jonas son frère sera élu municipal après la révolution, et c'est lui qui, à partir de 1796, sera en charge de la tenue des registres d'Etat Civil de La Chapelle Bâton, dont il sera le maire à partir de 1800, jusqu'en 1810, date de son décès.

Enfin Jean sera à son tour maire, de la commune de Saint-Projet, au début du XIXè siècle.

Pierre est décédé à la ferme de Vuzé en 1777, il allait avoir 63 ans. Marie quant à elle décèdera à Vuzé vingt ans plus tard en 1797, à l'âge de 75 ans.

Pierre et Marie sont nos ancêtres par deux branches, nous descendons à la fois de leur fille Françoise Marie, et de leur fils Jean.




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