D comme... Domestique




Au matin blême d'un jour de septembre 1836, François Raymond Garcis traversa le hameau du Breuil de Bessé, son baluchon sur l'épaule, les sabots crottés par la terre lourde d'Augé. Le vent frais de cette frontière de Gâtine lui piquait les joues, mais il avançait d'un bon pas : c'était son premier jour chez Monsieur Vivier, maître réputé pour la rigueur de sa maison autant que pour la qualité de ses bêtes.

Ils s'étaient rencontrés à la Saint-Michel, à la journée d'embauche des valets, domestiques et ouvriers agricoles, devant la porte Châlon de Saint-Maixent, ils étaient tombés d'accord, et s'étaient tapés dans la main. Le contrat était scellé.

La cour de la ferme s'étendait entre les murs gris d'un grand logis et les étables sombres où les bœufs soufflaient déjà. Au seuil, Monsieur Vivier apparut, large d'épaules, barbe en broussaille, l'œil pointu mais pas méchant.

Te voilà donc, François. On ne traîne pas ici.

Le jeune domestique inclina la tête. À dix-sept ans, il n'avait connu que les petits travaux saisonniers autour de Saint-Maixent. Cette fois, il serait domestique annuel, logé, nourri, et l'espérait-il, respecté.

Il fut conduit d'abord vers les bœufs de travail, deux grandes bêtes au flanc lustré, dont le souffle lourd emplissait la travée. Monsieur Vivier lui montra les colliers, les jougs, la place de chaque bête, l'ordre des gestes. François écoutait en silence, répétant mentalement les instructions pour ne rien oublier : ici, l'erreur se paie au travail du lendemain.

La matinée s'étira, longue comme un sillon de terre fraîche. Il fallut aider à sortir les bêtes, porter des fagots, nettoyer l'auge des vaches, puis filer au puits chercher l'eau. À midi, on l'appela dans la cuisine où Madame Vivier lui servit une soupe épaisse et un morceau de pain bis. Il n'osa lever les yeux, mais la chaleur du foyer fit tomber un peu la tension qui lui nouait la gorge depuis l'aube.

L'après-midi, le maître l'emmena aux champs, derrière la ferme. Le sol détrempé collait aux sabots, les ornières luisaient, et les corbeaux tournoyaient comme des ombres au-dessus des haies rougeoyantes d'automne. François saisit les rênes, le cœur battant, et les bœufs se mirent en mouvement. Le joug grinça, la charrue mordit la terre, et la première raie s'ouvrit, sombre et lisse. Un souffle d'orgueil passa dans la poitrine du garçon : il avait réussi le départ sans heurt.

Bien , grogna Monsieur Vivier, ce qui, dans sa bouche, valait presque un compliment.

Quand le soleil tomba derrière les chênes, la fatigue se fit lourde, mais François sentait en lui une sorte de calme neuf. Il n'était plus un gamin errant d'une ferme à l'autre : il avait une place, un lit dans la petite chambre aménagée à côté des écuries, un maître à satisfaire, un travail régulier.

Le soir venu, en écoutant le silence de la campagne troué par quelque meuglement dans l'étable voisine, il se dit que le Breuil de Bessé serait peut-être, pour un temps, son monde. Un monde rude, mais clair, où chaque geste comptait et où l'on gagnait sa part de pain à la sueur de l'aube.

Et, avant de s'endormir, il pensa simplement : Demain, je ferai mieux encore.

François Raymond Garcis était encore à cette époque, en 1836, de nationalité espagnole. C'est son père, Ramon Garcia, qui était venu au début du siècle, depuis la province de Saragosse, pour chercher un sort meilleur de ce côté des Pyrénées, et qui s'était établi à Augé. Il y avait ici à Augé et dans les Deux-Sèvres, une petite colonie d'espagnols, dont faisait partie Ramon Garcia avec ses amis, Miguel Amirel, Ferdinando Guarido, Pedro Dorado, Ramon Jordano, Feliz Morino, Agustin Martin...

Tous avaient changé leurs prénoms et noms, pour les franciser. C'est ainsi que Ramon Garcia, était devenu Raymond Garcis et il avait épousé en 1818 Magdelaine Bonnifet.

Leur fils aîné François Raymond Garcis, le domestique de cette histoire, était né l'année suivante au village d'Esset à Augé. C'est en 1850, dès qu'il eut atteint sa majorité, qu'il a fait une demande de naturalisation française, laquelle lui a été accordée, et aussitôt, pendant qu'il était encore domestique chez M. Vivier au Logis du Breuil de Bessé, il a épousé Madeleine Goutefangea qui y était aussi servante.

Anecdote amusante, après François Raymond, Raymond Garcis et Magdelaine Bonnifet ont eu un deuxième fils, né en 1822, qu'ils ont voulu nommer Louis Raymond Garcis. Mais quand le père est allé le déclarer à la mairie d'Augé, il n'a pas été enregistré comme Louis Raymond GARCIS, mais comme Louis RAYMOND. Et c'est ainsi que son deuxième prénom est devenu son nom de famille, erreur qui n'a jamais été corrigée, ce qui fait que lorsqu'il s'est marié à son tour, en 1851, il est resté Louis Raymond, et ses enfants ont pris ensuite aussi le nom de Raymond...Une famille Raymond est née, qui aurait dû normalement être une famille Garcis...

François Raymond Garcis et Madeleine Goutefangea auront quatre enfants entre 1850 et 1860, Louise (notre aïeule qui épousera François Elie), François, Pierre et Victor.

Madeleine décèdera à Augé en 1886 et François Raymond en 1888, à 60 ans et 69 ans.





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