F comme... Fileuse



 

Dans les actes paroissiaux, qui sont la base de notre arbre généalogique, il est bien rare que soit précisé un métier pour les femmes. Elles sont en général "sans profession", ou sans aucune précision. Elles sont dans la dépendance de leur père, puis de leur mari, et ce qu'elles peuvent bien faire n'intéresse personne. Pourtant parfois survient une exception.

Au village des Forges, perdu entre les haies vives et les prairies humides du Poitou, chacun connaissait Françoise Izoret, la jeune fileuse dont le rouet chantait tôt le matin et tard dans la nuit.

Elle était la fille d'Etienne Izoret et de Marie Morel, elle était née vers l'année 1743.

Avant son mariage, elle vivait dans leur modeste maison de torchis au cœur du village. Là, à la lumière tremblante de l’âtre, elle passait des heures à transformer la laine grise des moutons de Gâtine en un fil fin et régulier, que les marchands-fabricants venaient chercher chaque quinzaine.

Chaque matin, quand Françoise ouvrait ses volets, elle prenait un instant pour écouter les premiers bruits du village : le marteau du forgeron, les pas lourds des bœufs qu’on menait au champ, et le murmure lointain des lavandières. Puis elle s’asseyait près de la fenêtre, là où la lumière était la plus douce, et elle installait la quenouille bien droite contre son épaule. Le rouet, familier comme un compagnon de longue date, attendait ses gestes sûrs.

D’un mouvement précis, elle étirait les fibres, les laissait se tordre entre ses doigts, veillant à ce que le fil ne casse pas. Parfois, elle fredonnait des airs appris de sa mère, souvent, elle laissait le silence envelopper la pièce, seulement troublé par le cliquetis régulier du rouet. Ce rythme était celui de sa vie, un battement tranquille que rien ne semblait pouvoir interrompre.

Les journées d’hiver étaient les plus longues. Le froid se glissait sous la porte, et Françoise gardait son châle bien serré autour de ses épaules. Pourtant, elle ne se plaignait jamais : la filature lui offrait une forme de liberté, une manière de contribuer à la maisonnée, et même un petit pécule qu’elle gardait précieusement pour l’avenir. Chaque écheveau qu’elle remettait au marchand était une trace de son travail patient, presque invisible et pourtant indispensable.

Au village, on admirait la régularité de son fil, la propreté de son ouvrage. Certains disaient même que son rouet tournait plus vite que celui des autres jeunes filles du hameau. Mais Françoise souriait discrètement, consciente que la patience et l’habitude comptaient plus que la prouesse.

C’est dans ce quotidien simple, dans cette cadence que rien ne pressait, que s’écoula sa jeunesse. Et quand vint le temps de son mariage, les habitants des Forges gardèrent l’image de la jeune fileuse assise près de sa fenêtre, ses mains habiles tirant de la laine brute un fil solide et clair, un fil qui, à sa manière, tissait déjà la trame de la vie qu’elle allait bâtir.

C'est en novembre 1763 qu'elle a épousé dans l'église des Forges, son promis Antoine Morin, natif de la paroisse de Ménigoute. Elle avait 20 ans, lui en avait 28.

Et la situation est assez rare pour qu'on la signale, malgré son mariage, Françoise a conservé son activité de fileuse. D'ordinaire à leur mariage, les filles cessaient leur activité pour se consacrer à leur mari et leurs enfants. Mais pas Françoise, elle a continué, inlassablement, à filer la laine, construire ces écheveaux, qui feront le bonheur des tisserands du pays.

Ils auront sept enfants entre 1764 et 1780. Les deux premiers, Marie Anne et Louise verront le jour aux Forges. Après quoi Antoine et Françoise s'installeront à la Poitevinière, sur la paroisse de Vasles, où naîtront les quatre suivants, Louis, Marie Jeanne, Marguerite et Jacques. Enfin, ils partiront pour Sanxay où va naître le dernier, Jean, en 1780.

Nous sommes des descendants de la quatrième enfant, Marie Jeanne.

Antoine décède à Sanxay en 1785, il a cinquante ans. Elle lui survivra jusqu'en 1803, où à l'âge de soixante ans, se brise le fil de la vie de la fileuse. Sur son acte de décès, elle est toujours qualifiée de fileuse...





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