F comme... Forgeron




 

En ce matin de printemps 1780, la brume montait encore des prairies du Haut Poitou, quand Joseph Delage poussa la porte de sa forge dans le petit village de Mazerolles, dans la châtellenie de Lussac, dans le pays montmorillonais.

Le bois et le charbon, qu'il avait soigneusement empilés la veille, n'attendaient qu'une étincelle, et bientôt le foyer s'embrasa d'une lueur rougeoyante. Dans le calme du village en cette belle matinée, seul le souffle régulier du soufflet, que Joseph actionnait du pied, troublait le silence de cette campagne.

Joseph était un homme solide, aux bras tannés par la chaleur et aux mains larges comme des battoirs. Son visage, marqué par la suie et les années, s'éclairait pourtant d'un calme souriant lorsqu'il observait le métal prendre vie sous ses coups. Pour lui, le fer n'était pas une matière récalcitrante, c'était un compagnon de toujours, qu'il fallait écouter, comprendre, guider.

Ce jour-là, il devait refaire le soc de la charrue de son cousin, Louis Aubeneau, le métayer de la Dorlière, dont les terres, lourdes et argileuses, éreintaient l'outil chaque printemps. À peine le fer avait-il rougi que déjà l'on entendait au-dehors des bruits de sabots et des voix. La forge était le premier lieu où l'on passait, besoin de faire réparer un outil, aiguiser une lame, ou simplement colporter des nouvelles.

La porte s'ouvrit. C'était Jean Laurent, son voisin le voiturier, la mine déconfite.

"-  Le cerclage de la roue de ma charrette est fendu Joseph, tu peux m'aider ?" 

"- Je te fais ça tout de suite Jean, pour que tu puisses repartir au plus tôt", répondit Joseph "dès que j'ai terminé ce soc, parce que tu sais bien, il faut battre le fer quand il est chaud !"

Joseph continua son martelage. Le fer chantait sous ses coups, jetant des étincelles dorées dans la pénombre de l'atelier.

Vers midi, lorsque le soleil commença à chauffer la terre, la forge devint un refuge pour ceux qui voulaient fuir la lumière éclatante. On venait boire un verre d'eau fraîche, discuter des affaires du bourg ou commenter les rumeurs venues de Poitiers — on disait qu'un nouveau contremaître du roi passait de village en village pour inspecter les armes et les fers des milices locales. Joseph écoutait d'une oreille attentive, ce serait du travail pour lui, s'il fallait refaire les lames des sabres de la maréchaussée. Mais il n'interrompit pas son travail, son enclume, elle, ne cessait jamais.

L'après-midi avançant, Joseph retira un instant son tablier et se posta à la porte de la forge pour respirer l'air du dehors. Devant lui, les toits de tuiles rouges du village miroitaient sous le soleil, et, au loin, l'ombre du clocher de l'église Saint Romain se découpait sur les champs environnants.

Mais le répit fut court : une course rapide fit vibrer la poussière du chemin. C'était le jeune Pierre Aubeneau, qui arrivait tout essoufflé.

"- Maître Delage ! Le soc est-il prêt ? Mon père dit que la pluie pourrait venir demain."
Joseph hocha la tête. Le soc, encore tiède, reposait sur un établi. L'ouvrage était solide, équilibré, prêt à fendre la terre.

"- Dis à Louis qu'il tiendra tout l'été" , répondit-il en enveloppant la lame dans un linge.

Le soir tomba enfin. Mazerolles retrouvait son calme, et la forge, elle aussi, s'apaisait. Joseph éteignit le foyer, rangea ses outils un à un, puis s'assit un moment devant l'atelier. Les grillons chantaient dans les haies, et une odeur de terre chaude montait des jardins.

Joseph Delage est né à Mazerolles en 1751, chez Silvin Delage et Marie Aubeneau, laboureurs.

Il s'est marié en janvier 1776 avec Marguerite Montat. Ensemble ils auront sept enfants, nés dans la forge de Mazerolles, entre 1776 et 1792.

Joseph est décédé en 1818, il avait 67 ans, Marguerite lui a survécu jusqu'en 1822, date à laquelle elle disparaît à son tour, à l'âge de 66 ans.

 



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